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En Moldavie, les enfants ukrainiens à la recherche d’un été « normal »

Le village d’Horodiste, dans le nord de ce pays des Balkans, organise un camp d’été pour les enfants et leurs mères déplacés par la guerre, qui traversent la frontière pour souffler, avant de retourner en Ukraine.

Alina Nishnik s’était presque habituée aux effets de la guerre sur son quotidien. Aux sirènes d’alarme, aux coupures d’électricité, à « l’angoisse omniprésente » qui règne à Odessa. « Je me suis rendu compte que je n’y prêtais plus attention », confie la jeune ukrainienne. Une accoutumance qu’elle sait néfaste pour sa santé mentale et pour celle de Kira, sa fille de 5 ans. Alors, quand elle a eu l’opportunité de venir en Moldavie pour les vacances, Alina a fait ses valises. « Ici, on se sent tranquilles et en sécurité », affirme-t-elle.

L’ancienne école du village d’Horodiste surplombe une colline aux jardins arborés. Pendant dix ans, Thierry Ernst et Tatiana Pagu ont réhabilité le bâtiment avec l’objectif d’y accueillir des enfants dans le besoin. Dès le début de l’invasion russe, leur association, « Vent d’Est », s’est impliquée pour venir en aide aux Ukrainiens. « Quand la guerre a éclaté, toute la Moldavie s’est mobilisée pour les aider, raconte Tatiana Pagu, originaire de Chisinau. Beaucoup de gens ont pris leur voiture et sont allés à la frontière pour accueillir les réfugiés, beaucoup ont ouvert les portes de leurs maisons. »

Début 2022, plus d’un million d’Ukrainiens se sont réfugiés en Moldavie, petit pays de 2,3 millions d’habitants niché entre l’Ukraine et la Roumanie. « C’était triste et douloureux, mais j’ai été fière de mon peuple, j’ai senti une solidarité », se félicite-t-elle.

Selon l’Unicef, 4,3 millions d’enfants ukrainiens ont été déplacés par le conflit, dont plus de la moitié à l’intérieur de leur pays. Alina et Kira ont vécu la bataille de Kharkiv en mars 2022, puis les opérations d’évacuation. Elles ont parcouru les 700 km jusqu’à Odessa la peur au ventre. « Ma fille a mis un an à s’adapter. Son lit, sa maison lui manquaient », se souvient la mère. Avec le temps, elles ont appris à apprécier leur nouvelle ville, ses « bâtiments colorés », ses plages, son multiculturalisme – une carte postale froissée par la guerre.

« Reprendre des forces »

Si Odessa est régulièrement la cible de missiles, elle reste une des villes relativement préservées par les combats. De nombreuses familles originaires des zones de conflit, notamment du Donbass et de Kherson, s’y sont réfugiées. Parmi ces populations déplacées, beaucoup n’ont pas les moyens financiers et logistiques de quitter l’Ukraine pour les vacances. « L’objectif du camp d’été à Horodiste était de permettre aux mères et leurs enfants de se reposer pour reprendre des forces, retrouver la paix et retourner avec une autre énergie dans leur pays », explique Tatiana Pagu.

Quelques mètres plus loin, des animatrices bénévoles encadrent un atelier d’arts plastique. Vova, 4 ans, vient de peindre un dinosaure orange. « Mon fils est calme ici, car il n’y a pas de sirène d’alarme », affirme sa mère, Nadia Burenko. « D’habitude, il passe cinq jours par semaine à la maternelle, rapporte la femme de 31 ans, originaire de Kherson. Dès qu’une alarme retentit, les enfants doivent descendre dans les abris antimissiles. Cela peut arriver pendant qu’ils dorment ou jouent. Je veux rappeler au monde que la guerre continue, mais malheureusement à l’international on en parle moins. »

Les organisations humanitaires ont alerté à plusieurs reprises sur les « effets dévastateurs » de la guerre sur la santé mentale des enfants. Loin d’être épargnés par la violence, ils en sont parfois même la cible directe, comme l’a montré le bombardement d’un hôpital pédiatrique à Kyiv début juillet. Selon les Nations Unies, plus de 600 enfants sont morts et 1 420 autres ont été blessés depuis février 2022. « Les mères ici sont toutes conscientes que cela va laisser des séquelles », indique Tatiana.

Au volant de son robuste minivan blanc, elle accompagne les familles au parc d’attractions ou organise des visites de monastère. Les soirées sont consacrées aux sessions d’accompagnement psychologique. En plus de cogérer l’association, Tatiana est praticienne kinésiologue. « Les mères prennent conscience qu’en travaillant sur leurs propres traumatismes liés à cette guerre, elles pourront aider leurs enfants et leur apporter un sentiment de sécurité », explique-t-elle. Un besoin renforcé par l’absence fréquente des pères ukrainiens, dont un grand nombre sont mobilisés sur le front.

Stress post-traumatique

Alina Nishnik ne souhaite pas parler de son mari, parti à la guerre. Mais la psychothérapie l’aide à appréhender le futur, malgré la peur de voir sa fille grandir sans père. « Mon anxiété a diminué et j’ai l’esprit plus clair », reconnaît-elle. Pour réduire les symptômes de stress post-traumatique, Tatiana utilise la méthode EMDR, une psychothérapie par mouvements oculaires qui cible les mémoires des individus. « Cette technique est très utile, car cela enlève l’intensité des émotions liées aux traumas », assure la thérapeute.

Assise sur la terrasse ombragée de l’ancienne école, Alyona Slobodianiuk garde toujours son téléphone à portée de main. Elle essaie de ne pas suivre l’actualité ukrainienne pendant les vacances, mais ne peut s’empêcher d’ouvrir les applications de messagerie. Il y a quelques jours, elle y a lu que des habitants ont bloqué les rues d’Odessa pour contester les coupures d’électricité. Au sein de la population, la frustration grandit face à ce conflit qui s’étire dans le temps. « Nous avons seulement besoin que la guerre s’arrête. Tant de personnes sont mortes, à quelle fin ? Je ne comprends pas », soupire Alyona.

Si elle reste forte, c’est en grande partie pour sa fille Kira, 10 ans. « Quand je vais bien, elle va bien. Mais quand elle me voit paniquer, elle panique aussi, explique l’Ukrainienne de 36 ans. J’essaie de faire en sorte que ma fille ait une vie normale. Elle va à l’école, fait du sport et participe à des compétitions de gymnastique. »

Mais sous ce semblant de normalité, impossible de ne pas penser à l’incertitude de l’avenir. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a indiqué que la guerre pourrait s’achever d’ici à la fin de l’année et semble ouvrir la porte à des discussions avec la Russie, alors que la liste des victimes du conflit s’allonge.

Article par Maria Gerth-Niculescu repris sur le site https://www.liberation.fr

Le 14 août 2024

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