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Filippo Grandi : « Ce que fait la Moldavie est très important pour la résistance du peuple ukrainien, et si je peux le dire, pour toute l’Europe »

Lors d’une récente visite en Moldavie, Filippo Grandi, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a accordé une interview au journal moldave « Ziarul de Gardă » dans laquelle il a une nouvelle fois apprécié l’accueil des réfugiés ukrainiens en Moldavie.

Alina Radu, « Ziarul de Gardă » : Monsieur le Commissaire, c’est votre troisième visite en Moldavie. Voyez-vous les choses évoluer ?

Filippo Grandi : Je suis venu ici pour la première fois en mars 2022, juste après le début de la guerre en Ukraine, après que l’invasion russe ait déclenché un flux massif de réfugiés. Lors de ma première visite, je suis allé à Palanca, où les réfugiés arrivaient en grand nombre, c’était une situation de crise. Je suis revenu il y a un an et maintenant j’y retourne pour la troisième fois. Je vois l’évolution : la situation des réfugiés s’est stabilisée. Je pense que c’est dû au moins aux trois facteurs : l’action du gouvernement, le soutien de la part de la communauté internationale et, surtout, l’extraordinaire hospitalité du peuple moldave. Nous ne parlons plus d’aide d’urgence, mais des possibilités de garantir l’accès des réfugiés aux services nécessaires : ils vont à l’école, ils reçoivent des services de santé, ils ont accès à l’emploi. D’autre part, nous veillons à ce que le peuple moldave ne souffre pas.

Cependant, ce qui n’a pas changé, c’est que nous avons toujours une guerre terrible juste à côté, et c’est extrêmement inquiétant.

J’étais venu ici lors d’une urgence catastrophique. Et permettez-moi d’être très honnête - je me souviens qu’on avait même le sentiment que l’existence du pays, la survie du pays était menacée. Maintenant, je sens qu’il y a plus de confiance. Les défis sont énormes – ceux économiques, sociaux, politiques et énergétiques. Vous êtes le pays le plus proche de la guerre. Mais peut-être que cette crise a accru le sentiment de confiance dans le soutien européen à la Moldavie. Nous souhaitons renforcer ce soutien pour rendre la Moldavie encore plus confiante. Il reste encore beaucoup à faire au niveau institutionnel, pour lutter contre la corruption, pour rendre la protection sociale plus efficace pour les personnes vulnérables, etc. Mais je pense que je peux voir beaucoup plus les prémisses de ce mouvement qu’il y a deux ans. Dans cette situation dévastatrice de la guerre en Ukraine, c’est un signe positif, très important pour votre pays. Vous êtes un peuple extraordinaire et vous avez été un véritable partenaire dans cet effort humanitaire.

Alina Radu : C’était la première fois que la Moldavie recevait une véritable vague de réfugiés, étant elle-même un pays très petit, pauvre et sans expérience dans ce domaine. Les États peuvent-ils se préparer à une telle situation ?

Filippo Grandi : Personne n’était vraiment préparé à faire face à cet énorme flux de réfugiés. Je suis dans ce métier depuis 40 ans, mais je n’ai jamais vu une telle vague. D’autres pays qui avaient antérieurement accueilli des réfugiés étaient membres de l’Union européenne et disposaient de systèmes plus développés et de plus de ressources que la Moldavie. Nous avons donc dû investir beaucoup plus ici pour que le pays puisse résister au choc.

Et il ne s’agissait pas seulement des réfugiés qui sont restés ici, environ cent vingt mille, mais de tous ceux qui sont ensuite allés en Roumanie et dans d’autres pays. La Moldavie a été une zone de transit pour des centaines de milliers de personnes, ce qui a été un énorme fardeau. Mais le gouvernement a su identifier assez vite les priorités, nous avons mobilisé des ressources pour le soutenir et finalement, je pense que nous avons réussi à bien gérer la situation. Tout a été parfait ? Bien sûr que non. Mais la situation aurait pu être bien pire s’il n’y avait pas eu de coopération entre la communauté moldave et la communauté internationale. Vous êtes un pays qui n’est pas riche, qui est petit et qui ne fait pas partie de l’Union européenne, mais vous n’êtes pas hostiles aux réfugiés. Vous comprenez que ces gens souffrent dans leur pays, qu’ils sont victimes d’une invasion, d’une guerre qu’ils n’ont pas déclenchée et qu’ils ont donc besoin de solidarité. Je le dis toujours - la Moldavie est un exemple pour l’Europe et la communauté internationale.

Alina Radu : Avez vu connu une histoire qui vous a fort ému lors de vos visites en Moldavie, lors des discussions avec les réfugiés et les hôtes ?

Filippo Grandi : Je vais vous donner deux exemples. L’un vient de ma première visite et l’autre - de la visite actuelle. Lors de ma première visite, j’ai été fort marqué par ce que j’ai vu à Palanca. Vous vous souvenez, c’était là que les familles se séparaient. Je suis passé de l’autre côté de la frontière avec l’Ukraine, dans la zone où les familles se séparaient, car les hommes devaient rester et aller se battre et les femmes, les enfants et les personnes âgées partaient. Je n’oublierai jamais ces familles s’embrassant en silence, sans savoir ce qui allait se passer ensuite.

C’était une période d’énorme incertitude, nous ne savions pas jusqu’où irait cette guerre. Aujourd’hui, j’ai vécu la même expérience, mais deux ans plus tard, sous un angle différent. Dans une maison de retraite que j’ai visitée, j’ai rencontré un couple de réfugiés ukrainiens. Ils m’ont dit que leur fils luttait à Bakhmout, l’un des endroits les plus durs sur la ligne du front. Je leur ai demandé s’ils restaient en contact avec lui et ils m’ont dit que leur fils ne voulait pas leur raconter où il se trouvait et ce qu’il faisait pour ne pas les faire souffrir. Je n’oublierai jamais cette tragédie d’une famille qui ne sait pas où se trouve son fils, s’il est vivant ou mort. C’est dévastateur…

Les réfugiés ne luttent pas, mais ils sont des victimes des combats, de l’invasion, des bombardements d’infrastructures civiles, des massacres de civils. C’est pour cette raison que ce que fait la Moldavie est si important pour la résistance du peuple ukrainien et, si je peux le dire, pour toute l’Europe.

Notons que jusqu’en janvier 2024, environ 116 mille réfugiés ukrainiens ont choisi la Moldavie comme un lieu de vie temporaire.

D’après une interview d’Alina Radu publiée sur https://www.zdg.md/interviuri/interviu-filippo-grandi-inaltul-comisar-al-onu-pentru-refugiati-ceea-ce-face-moldova-este-atat-de-important-pentru-rezistenta-poporului-ucrainean-si-daca-imi-permiteti-sa-spun-pentru-int/

Le 29 janvier 2024

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