… L’an 1992. Le conflit armé dans la région transnistrienne de la Moldavie : un militaire se retrouve avec son fils sur la ligne de front, un autre - porte toujours l’arme avec soi afin qu’il puisse se tuer, s’il est pris en otage, et le troisième, il a l’habitude de faire la guerre, parce que c’est ce que son métier demande. 27 ans après, tous les trois se demandent pourquoi ils se sont battus. En plus de la déception, ce conflit leur a « légué » des douleurs physiques et surtout psychiques.
Le reporter du journal moldave Ziarul de Garda a discuté avec plusieurs participants à la guerre sur le Dniestr de 1992 - c’est ainsi qu’ils insistent qu’on appelle ce conflit - de leurs traumatismes invisibles. En effet, l’état moldave ne leur a offert aucune assistance psychologique.
La réserve de balles
« Mon sommeil n’est jamais calme, car cela ne s’oublie pas », raconte le vétéran Victor Patrascu. « Nous ne sommes pas en Europe pour avoir notre psychologue ... », ajoute-t-il. Outre le calme, Victor a laissé une partie de son bras sur le champ de bataille, lorsque le char dans lequel il était a été envahi par les flammes.
En 1992, il avait deux enfants et il travaillait comme tractoriste. Il a été réceptif à l’appel du Président et s’est porté volontaire pour les actions militaires qui se passaient sur le Dniestr. Il comprenait que c’était la guerre et il était prêt à mourir, s’il le fallait.
« J’avais toujours une réserve de balles dans mon arme – au cas où j’avais été pris en otage, je me serais tué … Je savais qu’on cherchait surtout à capturer des membres de la police spéciale », se souvient Victor Patrașcu.
Pour Victor Patrascu, la guerre s’est terminée par un évanouissement. Il a été retrouvé dans un champ, tout sanglant. Ensuite, il a passé deux ans dans un hôpital. Après avoir subi 13 opérations, il a recommencé son travail. Aujourd’hui, il travaille comme gardien pour pouvoir entretenir sa famille. Il dit qu’après tout, il est assez dur avec ses enfants et même avec ses petits-enfants, mais il pense qu’ils lui seront reconnaissants pour les « cours » de discipline.
« Chez les Moldaves, le psychologue c’est un verre de vin »
Andrei Covrig était à Brest quand il a appris qu’un conflit avait éclaté dans la région de Transnistrie. Il était commandant-adjoint de régiment dans une unité du district militaire biélorusse. Il est rentré en Moldavie en avril 1992, sachant très bien à quoi il pouvait s’attendre. Le 15 mai 1992, il a été affecté à la brigade de missiles antiaériens. Sa tâche était de protéger les troupes terrestres contre les avions séparatistes. Plus tard, il a été envoyé à Tighina, en tant que chef de dix postes militaires. Cette fois-là, sa tâche était de ne pas permettre le transport d’armement et d’effectifs dans la zone.
« Étant un militaire de carrière, je comprenais où j’allais. Un militaire ne fait pas de choix. Il reçoit un ordre et il doit l’exécuter. Ce n’est qu’après qu’il réfléchit à ce qui s’est réellement passé. Aujourd’hui, quand je me souviens de ces coups de feu sur nous, y compris sur le poste de la police, je me demande comment on a pu résister aux attaques », raconte Andrei Covrig.
Il ajoute qu’à la guerre, chaque participant - soldat, officier, commandant – mène son propre combat. « La vie après l’an 1992 est très différente pour chacun d’eux. Chacun se débrouille comme il peut. Or, nous sommes très bons à donner médailles, mais, au-delà de cela, c’est triste », constate l’ancien militaire.
Il croit qu’il est impossible, pour quiconque a lutté en 1992, d’oublier ce qui s’est passé : « Si l’on a eu un traumatisme, une blessure, on ne l’oublie jamais, parce qu’on les porte avec soi. Et bien sûr on n’oublie pas la scène quand ton collègue a été blessé ou tué… ».
Il affirme que la réhabilitation psychologique s’est faite par elle-même. Le lendemain de son retour de Tighina, il a été désigné responsable d’une brigade et, donc, de 3300 soldats et 25 objets stratégiques situés sur le territoire de la Moldavie – tout cela ne laissaient pas de temps pour les souffrances. « Nous ne pensions pas au stress, il fallait faire notre travail et nous l’avons fait. La réhabilitation s’est faite par elle-même. Vous savez, chez les Moldaves, le psychologue c’est un verre de vin, une descente dans la cave », dit Andrei, en souriant.
« La mort d’une personne este irréparable »
Anatol Croitoru a beaucoup de choses à raconter de ces jours-là. Et toute histoire serait douloureuse. Il se souvient des familles qui se cachaient dans des caves, de son fils venu sur la ligne du front lui apporter un morceau de pain et du lard. « Vous imaginez ce que j’ai ressenti à le voir là-bas ! Les enfants, ils sont curieux, ils n’ont pas peur. Mais, après plein de cas très effrayants vécus ces mois-là, nous constatons aujourd’hui que nous nous sommes battus pour rien… », soupire Anatol.
Après 27 ans, « la cause pour laquelle nous nous sommes battus est toujours emprisonnée », dit-il. « Eh bien, nous avons gardé notre frontière, notre pays pour que ces jeunes ministres puissent faire des études et fassent des lois pour nous aider d’une certaine façon. Nous avons lutté, mais personne ne se souvient plus de nous », conclut le vétéran.
Il a perdu des amis, des collègues et des villageois dans la guerre de Transnistrie en 1992. Il dit que c’est la plus grande souffrance pour lui. « Certainement, la guerre te prive de la santé, tellement de choses affreuses se passant là-bas, mais la mort d’une personne c’est la plus terrible des choses, car c’est irréparable… », affirme-t-il.
Le conflit transnistrien de 1992 a fait plus de 1 000 morts et 4 500 blessés. Les participants aux actions militaires n’ont jamais reçu de support psychiatrique, voilà pourquoi beaucoup d’entre eux subissent diverses manifestations du trouble de stress post-traumatique.
D’après un article d’Aliona Ciurcă publié sur https://www.zdg.md/editia-print/social/fara-ajutor-sindromul-de-stres-post-traumatic-la-veteranii-conflictului-de-pe-nistru
Le 31 décembre 2019