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Les gens et la vie dans un état non-reconnu (II)

Deuxième partie

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Sur la rive gauche du Dniestr, où l’on parle russe, la monnaie d’échange est le rouble transnistrien et la plupart des habitants de la région se déclarent fidèles à la Russie. Cependant, huit écoles où l’enseignement est dispensé en roumain fonctionnent toujours en Transnistrie, mais les parents, les enfants, les enseignants et les directeurs de ces écoles se voient contraints à mener une lutte continue pour le droit à l’éducation en roumain.

« Surtout que je n’oublie pas mon passeport, parce qu’en Transnistrie on ne va nulle part sans passeport. Ici, on doit toujours avoir les papiers sur soi, surtout si on n’a pas de « citoyenneté » transnistrienne  », dit Ion Iovcev, directeur du lycée « Lucian Blaga » de Tiraspol, tout en rangeant ses affaires dans le sac pour aller au travail.

Depuis 25 ans, Ion Iovcev est le directeur du lycée « Lucian Blaga ». Pendant ce quart de siècle, il a dû faire face à de nombreux défis. Le lycée a été fermé trois fois, le bâtiment a été détruit deux fois. A chaque fois, cependant, il renaissait comme un phénix. « Ces pressions me donnent encore envie de me battre. Non, je n’ai jamais eu l’idée de partir d’ici : malgré les pressions quotidiennes, nous résistons ». Ion Iovcev rêve d’écrire un livre pour expliquer ce que cela veut dire - être le directeur d’une école de langue roumaine dans une région où ceux qui parlent cette langue sont perçus comme des ennemis.

Iovcev habite une petite maison, dans le village de Caragaş, à 10 km de Tiraspol. Devant la maison, il y a plein de fleurs, d’arbres fruitiers et de framboises. « Ma femme adore les fleurs. Il y en avait beaucoup plus quand elle vivait ici. Maintenant, j’essaie de les maintenir pour qu’elle se réjouisse à son retour », dit l’homme avec mélancolie, tout en mettant dans la poche un petit album avec des photos de famille : de ses deux filles (une d’entre elle habite en Roumanie et l’autre - en Italie), de sa petite-fille et de sa femme qui travaille en Italie. « Cet album, je le porte toujours avec moi. Cela me donne le sentiment d’être près d’elles. Cela raccourcit les distances. C’est comme ça que nous vivons depuis sept ans – en se parlant sur Skype …  », raconte Ion Iovcev.

« Cette zone est comme une réserve – un morceau de l’URSS. Les noms des rues sont les mêmes que dans la période soviétique. Je suis désolé que les mass-médias d’ici présentent la Moldavie comme l’ennemi numéro 1 – selon eux, la Moldavie ne fait que penser jour et la nuit comment accaparer ce territoire pour détruire la vie des gens d’ici… Pour eux, le mot « roumain » signifie « fasciste », en dépit du fait que beaucoup d’habitants de la Transnsitrie ont un passeport roumain et les autorités d’ici passent souvent des vacances en Roumanie  », raconte tristement le directeur, tout en se dirigeant vers son école.

*** Ceux qui n’ont pas la citoyenneté de la région transnistrienne, mais y travaillent, sont obligés de se faire enregistrer chaque mois comme "touristes". C’est le cas de Lilia Chisin, enseignante de langue et de littérature roumaine au lycée "Lucian Blaga". Lilia travaille ici depuis 7 ans. Chaque mois, elle doit se faire enregistrer en Transnistrie. Cela lui cause des inconvénients, mais elle a dû se conformer.

Lilia Chisin est originaire du village moldave de Fîrlădeni. « Mon village est à quelques kilomètres de Bender et beaucoup de villageois, y compris mes parents, travaillaient à Bender autrefois. Je me souviens qu’il fallait me lever tôt le matin pour aller, avec mon père, au jardin d’enfants dans la ville. Il n’y avait pas de douane, la Moldavie n’était pas tranchée  », raconte Lilia.

Elle a fait ses études au Collège pédagogique de Chişinău et a commencé à enseigner la langue et la littérature roumaine à l’âge de seulement 17 ans. «  Il n’y avait pas assez d’enseignants dans les villages. J’ai travaillé comme enseignante dans mon village natal, puis à Chişinău jusqu’en 2003. Ensuite, mon fils est né et j’ai été en congé de maternité jusqu’en septembre 2006. J’ai travaillé pendant un an. C’était compliqué. Je louais mon logement et j’avais mon bébé. J’ai alors décidé d’aller travailler en Israël pour pouvoir m’acheter un appartement. Un an plus tard, ma mère est tombée malade et j’ai dû rentrer. Je n’avais plus à qui confier mon fils et j’ai décidé de rester ici  », explique Lilia.

Elle a postulé pour un emploi au lycée le plus proche où l’enseignement est dispensé en roumain - à Tiraspol. « Je suis venue ici début septembre 2009. Je ne pensais pas que j’y allais rester longtemps, mais je me suis attachée aux enfants et aux collègues », dit Lilia. Au cours des deux premières années, Lilia Chisin faisait la navette Tănătarii Noi-Tiraspol. « C’était difficile de parcourir 24 km chaque jour. Je me réveillais à 5 heures du matin pour ne pas être en retard aux cours. Quand mon fils est allé à l’école, nous avons décidé de déménager à Tiraspol. C’est dur, car le salaire couvre à peine les dépenses essentielles, mais nous essayons de faire face. J’ai un salaire de seulement 5 000 lei  ».

Lilia raconte que, pour sortir s’acheter des biscuits, par exemple, son fils doit avoir son acte de naissance sur soi. « C’est pour sa sécurité et pour que je puisse être calme  », explique la femme. « C’est pénible que quelqu’un a décidé un jour de diviser le pays, d’imposer des lois absurdes. Pourquoi mon enfant devrait-il porter toujours avec soi son acte de naissance ? Pourquoi dois-je subir régulièrement l’humiliation de passer des heures à l’ainsi-dite douane, tandis que je suis dans mon pays ? C’est tellement humiliant quand les douaniers te traitent avec suspicion, comme si tu avais commis un crime, tandis que je ne fais qu’aller au travail. C’est dur. Dans ton for intérieur, tu veux te révolter, mais tu comprends que cela n’a pas de sens. Finalement, on s’habitue aux regards suspicieux quand on t’entend parler en roumain. On se sent perçu comme un étranger, mais on s’y habitue », soupire la femme.

Lilia ne voit pas son avenir ici. « Je ne vois aucune raison pour rester ici longtemps, car je n’ai vu aucun changement depuis 25 ans. Je ne vois aucune action concrète des autorités des deux côtés du Dniestr. On ne fait rien pour le peuple. Je crois que je dois mobiliser tout mon courage et aller vivre en Roumanie ou ailleurs en Europe, pour offrir à mon enfant une vie meilleure » conclut Lilia.

A suivre

Le 17 août 2018

D’après un article publié sur https://www.zdg.md/editia-print/social/oamenii-si-viata-dintre-hotarele-unui-stat-nerecunoscut

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