L’histoire tragique d’un couple de déportés qui n’a jamais pu se débarrasser de l’étiquette « ennemis du peuple ».
Une vie particulièrement pénible l’a privé de son père quand il n’avait que 7 ans. Dix ans plus tard, sa mère est décédée. Mais la destinée lui a offert Nina, celle qui allait devenir son épouse.
Parmi les premiers Moldaves déportés en Sibérie en pleine nuit, il y a eu ses grands-parents, ses quatre frères et ses tantes, les deux sœurs de son père. « Pendant le trajet, ses frères et ses sœurs ont pu s’échapper et se sont enfuis en Roumanie, certains à Bucarest, d’autres à Alexandria ou Braila. Depuis, ils ne sont jamais rentrés en Moldavie. Les grands-parents sont morts de froid en Sibérie », nous dit Valentin Rusnac. « Nous avons vécu, avec mon épouse, à Falesti. En 2010, elle s’est éteinte à cause d’une maladie du cœur et depuis je vis à Chisinau, chez ma fille », raconte Valentin.
De Moara Nouă à Maramonovca
En 1944, il fut séparé de son père. « Mes parents étaient des intellectuels, ils étaient diplômés de l’école de médicine de Bacau, en Roumanie. C’est là-bas qu’ils s’étaient connus. Ils étaient tous les deux originaires du district de Drochia, mais venaient de villages différents : ma mère de Chetrosu, et mon père de Moara Noua. Les soviétiques ont plus tard renommé ce village Maramonovca », continue avec tristesse notre interlocuteur.
« En 1944, je jouais devant la maison avec une chienne, elle était rousse. D’un coup, une voiture s’est arrêtée à l’entrée de notre cour et deux officiers armés du NKVD en sont sortis et sont entrés dans la cour. Quand le chien s’est mis à aboyer, l’un d’entre eux a sorti son arme et a tiré. Ce sont des moments de la vie qu’on n’oublie jamais…Je n’avais que 7 ans. Ce jour-là, ma mère et mon père se sont vus pour la dernière fois », raconte Valentin Rusnac, les yeux fermés et en soupirant.
Après la déportation du père, les représentants des autorités du village venaient souvent leur rendre visite. Ils les dépossedaient tantôt d’un tapis, tantôt d’une chaise. « Nous étions considérés comme des ennemis du peuple. Pour cette raison, on « oubliait » de nous distribuer la ration alimentaire. Voilà pourquoi aussi ma mère a décidé de déménager et nous sommes allés vivre chez sa sœur Liuba, à Chetrosu. Nous sommes restés chez elle quelques semaines, puis nous avons trouvé un logement à louer », raconte notre protagoniste.
Les officiers du NKVD étaient très perfides
« Ma mère n’avait pas d’emploi, mais comme elle était sage-femme, les habitants du village venaient chez elle comme chez le médecin. Pour la remercier, certains lui donnaient du lait, d’autres de la farine. Au bout d’un certain temps, les autorités locales de Maramonovca ont pris contact avec celles de Chetrosu pour nous informer qu’on allait nous rendre notre maison car il n’y avait pas de médecins à cette époque-là. Mais les officiers du NKVD étaient très perfides », affirme Valentin Rusnac.
Ainsi, croyant qu’elle ne risquait plus les déportations, la famille est rentrée à Maramonovca, mais, peu après, des soldats ont frappé à la porte… « Le 6 juin, vers trois heures du matin, nous avons entendu du bruit à la porte. On était venu nous « lever ». Ma mère a essayé de s’échapper, espérant que, si je restais seul, ils ne me déporteraient pas. Mais un des soldats l’a rattrapée. Ensuite, après 24 heures d’attente à la gare de Drochia et deux semaines de voyage, nous sommes arrivés dans la région de Tioumen », nous raconte Valentin, aujourd’hui si âgé.
Ensuite, on les a déportés dans la région de Kargaly. « On nous a logés à trois familles dans une maison de deux pièces. C’était une maison ancienne, sans vitres, le plafond et le plancher étaient abîmés. On ne pouvait pas y dormir, car il y avait plein de punaises. Et si on allait dehors, on était envahi par les moustiques », se souvient Valentin.
Arrivée en Sibérie, sa mère est décédée
Sentant probablement que sa vie allait s’arrêter, sa mère s’est mise à faire des démarches pour que sa famille soit transférée dans la localité de Chandrinsk où vivait une de ses sœurs. « Là-bas, on nous a logés dans une toute petite pièce, près d’un centre médical. En 1954, maman est décédée à l’hôpital à cause d’une maladie de foie. Elle a été enterrée en Sibérie. Cette même année-là, j’ai commencé mes études au Collège de Mécanique de Chandrinsk. », continue de narrer Valentin Rusnac.
Ayant fini ses études, il décide de rentrer en Moldavie bien qu’il sache que personne ne l’y attende. « Je me suis établi à Drochia, je travaillais comme serrurier, j’avais un bon salaire, mais un ami de mon père m’a conseillé de continuer mes études. J’ai suivi son conseil et je me suis inscrit à l’Institut agraire. C’est justement à cette période-là que j’ai connu Nina, ma future épouse. Elle était vendeuse dans un magasin de produits agricoles. Elle m’a beaucoup plu. En apprenant que, comme moi, elle avait été déportée avec toute sa famille en 1949, la même nuit du 6 juin, j’ai senti qu’elle allait devenir ma femme ».
Il ne sait rien sur la mort de son père
« Elle a eu une vie très dure, la pauvre ! Ses parents étaient très courageux, ils travaillaient sept hectares de terre et ils élevaient du bétail. Ils avaient l’intention de construire un moulin dans leur village, mais les soviétiques sont venus et les ont déportés dans la région de Kurgan. Les parents de Nina étaient déjà âgés et elle devait les entretenir avec ses deux frères. Elle a travaillé dans une ferme, elle fauchait, elle a cultivé de la betterave fourragère, elle n’a pas eu le temps de faire d’études ».
En 1955, ils ont obtenu le droit de rentrer en Moldavie. Au début, ils ont vécu chez des parents, car, suivant les règles de l’époque, leurs biens ne leur ont pas été restitués. En plus, ils ont toujours été traités comme des ennemis du peuple. Ainsi, en 1961, les deux « ennemis du peuple » ont formé une famille.
Cette année-là, le père de Valentin est revenu de Sibérie, lui-aussi. Mais il n’a pas pu profiter longtemps de sa présence. « Mon père a décidé de savoir pourquoi il avait été déporté et qui était coupable de la mort de ses parents et du fait que sa femme était enterrée à l’autre bout du monde. Un jour, il revenait de Chisinau à Drochia. C’est la dernière nouvelle que j’ai eu de lui. On a retrouvé son cadavre dans la forêt, près d’Orhei… On ne sait pas qui l’a assassiné… », dit l’homme avec tristesse.
Des souvenirs amers
Valentin Rusnac dit que, bien qu’il ait toujours bien travaillé et qu’il soit respecté par ses collègues, il n’a pas pu progresser au-delà d’une certaine position. « Je n’ai pas pu être mieux que responsable d’études ou ingénieur. Ma femme a été vendeuse toute sa vie. Nous sommes restés des « ennemis du peuple ». J’ai grandi sans mon père et ma mère est morte quand j’étais enfant. Je ne souhaite à personne d’avoir une vie comme la mienne », conclut le vieux en rassemblant ses souvenirs amers et les photos de ses proches avec lesquels il a passé très peu de temps.
Article de Marina LIŢA, repris sur le site http://www.jurnal.md/ro/news/-dusmanii-poporului-care-si-au-unit-destinele-794402/
Traduit pour www.moldavie.fr
Relecture – Didier Corne Demajaux.
Le 8 janvier 2013