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Quatre lettres anticommunistes

«  Chacun d’entre nous doit entreprendre quelque chose pour se libérer des communistes  », c’est ce qu’écrivait un habitant de Chisinau dans un manifeste daté 18 mai 1955.

l’anticommuniste Zaharia Doncev

Deux ans après la mort de Staline et à peu près un an avant la condamnation du culte de la personnalité, le silence des organes de la sécurité de République Soviétique Socialiste Moldave a été troublé. Dans la nuit du 18 au 19 mai 1955, non loin de la gare ferroviaire de Chisinau, des manifestes antisoviétiques ont été diffusés. Il s’agit de pages au contenu différent écrites au crayon sur des feuilles blanches de la taille d’un cahier (une est en roumain avec des lettres latines et trois autres en russe). Elles avaient été collées dans des lieux visibles : sur un pylône de télégraphe, sur la vitrine d’un magasin, près de la Poste et la quatrième - sur une enceinte bordant le siège du KGB à la station de chemin de fer. Les textes avaient un caractère antisoviétique, anticommuniste et pro-roumain. Les miliciens qui surveillaient l’ordre à proximité de la gare les ont remarqués et enlevés. Ensuite, ils ont téléphoné au KGB et les recherches ont commencé.

Après plus d’un an et demi d’interrogatoires, d’espionnage et d’expertises graphologiques, l’auteur des lettres a été identifié le 9 décembre 1956. C’était un Moldave. Il s’agit de Zaharia Doncev, né en 1928 à Chisinau, citoyen de l’URSS, sans appartenance politique, marié, père d’une fille de trois ans. Il avait fait son service militaire dans l’Armée Soviétique comme chauffeur de formation et employé comme monteur électrique à la fabrique de saucissons de Chisinau, ville où il réside, rue Muncesti.

Il a été mis en garde-à-vue le 9 décembre et enfermé à la prison du KGB, tandis que son dossier pénal s’ouvrait à la Journée Internationale des Droits de l’Homme, le 10 décembre 1956 pour Campagne et propagande contre-révolutionnaire (nr. 6429, art. 54, alinéa 10, Code Pénal de la RSS Ukrainienne, appliqué en RSSM jusqu’en 1961). Mais par ailleurs la perquisition faite au domicile de Monsieur Doncev n’avait rien donné.

Voilà le contenu du manifeste :

le manifeste

Chers amis,

Comme vous pouvez le voir, les communistes nous mènent à la catastrophe. Dans un an, nous serons libérés. C’est le temps de prendre des fourches et des faux pour montrer que chacun d’entre nous aime sa chère Roumanie qui a existé autrefois.

C’est le temps d’avoir une vie meilleure et plus facile. Chacun doit montrer qu’il aime sa patrie d’autrefois.

C’est la seule voie vers la liberté.

Signé : Maire Ionescu. Aidé par Ardeleanu. 18. V. 1955

Lors du premier interrogatoire, Zaharia Doncev a reconnu avoir écrit les manifestes qu’il avait collés à l’aide de mie de pain. Il a déclaré que ses actions étaient motivées par le fait d’avoir été retenu par la police et battu cruellement dans la station de police de la Gare ferroviaire le 18 mai 1955, au soir. De plus, de l’argent lui avait été demandé en échange de sa remise en liberté. Interrogé sur le fait qu’il n’en parlait pas dans les manifestes, Doncev a répondu que s’il avait parlé de cet indicent, il aurait été identifié très facilement. Pour leur part, les miliciens ont nié l’avoir vu et battu ce soir-là.

La version en langue russe de la proclamation avait un caractère visiblement anticommuniste :

Chers amis,

Le peuple moldave se lèvera prochainement afin de défendre ses droits qui étaient assurés avant la guerre. Le communisme est sur le point de subir un échec total. Maintenant, on peut déjà voir quelle vie mène le pauvre peuple moldave. Nous sommes des mendiants, nous n’avons plus de pain, ni d’habits, ni de terre. C’est le temps de nous lever et de dire aux communistes : cessez de vous enrichir. Il est temps que nous nous vengions pour cette vie d’esclaves. Chacun de nous doit faire quelque chose pour nous libérer des communistes.

Ionescu. Ardeleanu. 18. V. 1955.

Les deux autres manifestes avaient un contenu similaire.

Les agents du KGB ne pouvaient pas croire que c’était l’œuvre d’une personne seule et, espérant pouvoir découvrir tout un groupe, voire une organisation ou un parti antisoviétique, ils ont fait espionner Zaharia Doncev.

« J’ai écrit et collé les manifestes tout seul et je n’en ai parlé à personne”, affirmait toujours Doncev.

dossier de Zaharia Doncev

Interrogés par le KGB, ses collègues de travail n’ont pas pu dire qu’ils avaient constaté des tendances antisoviétiques chez Doncev, tandis que le portrait fait par ses supérieurs le présentait plutôt comme un ouvrier laborieux et honnête. Afin de fonder leur démarche, les agents secrets ont donc demandé une expertise graphologique confirmant que Z. Doncev était bien l’auteur des manifestes. En même temps, après avoir inspecté plus minutieusement le contenu de ces manifestes, le KGB a ajouté une nouvelle accusation : Appel au renversement du pouvoir soviétique.

Etant donné que tout ça se passait en plein dégel sous Khrouchtchev et qu’un antisoviétique ou un anticommuniste ne pouvait pas être jugé sans expertise médico-légale de ses capacités mentales, le 30 décembre 1956, l’enquêteur demanda l’expertise psychiatrique de Zaharia Doncev. Le 4 janvier 1957, il est interné dans l’hôpital psychiatrique du ministère de la santé de RSSM et, le 28 janvier, la commission médico-légale conclut que Zaharia Doncev avait toutes ses facultés mentales. Ainsi, son chemin vers le goulag est ouvert.

Les actes de Zaharia Doncev étaient aggravés par le fait que ses deux frères et une sœur, avec lesquels il entretenait des relations, habitaient en Roumanie. La sœur de sa mère, Elena Petrache, avait été condamnée en 1945 à dix ans de camp pour activité subversive à l’encontre des soviétiques pendant l’occupation roumaine de la Bessarabie, et enfin sa mère, Maria Doncev, avaient cherché à fuir vers la Roumanie. Or son nom figurait sur une liste tombée entre les mains des agents du KGB.

L’enquête préliminaire s’est très vite déroulée. Le dossier était assez volumineux, plus de 220 pages et le 31 janvier 1957, il était transmis au tribunal.

la sentence

Le procès a eu lieu le 25 février 1957, à la Cour Suprême de RSSM. Devant les juges, Doncev a eu l’imprudence de dire qu’il écoutait des stations de radio étrangères, un nouveau motif d’accusation. La sentence a donc été à la mesure de son « activité contre révolutionnaire », ce qui fut l’objet de la détention demandée par le Procureur : sept ans de privation de liberté et trois ans de privation des droits civiques. Ainsi, peu de temps après, Zaharia Doncev fut emprisonné dans un camp de détenus politiques de Mordovie.

Après près de quatre ans de détention, le 19 janvier 1960, Doncev écrit une plainte au Parquet de RSSM pour demander la réduction de sa détention (un de ses arguments étant que le camarade Nikita Khrouchtchev avait déclaré au XXI-ième Congrès du Parti Communiste qu’« il n’y a pas de détenus politiques en URSS »).

Suite à l’interpellation du Parquet, l’administration du goulag fit un rapport positif sur le détenu Doncev Zaharia (il a suivi des cours de chauffeur, il accomplissait honnêtement ses obligations, il avait plusieurs mentions, il était responsable des activités culturelles de sa brigade, il disposait de la permission de vivre en dehors du camp). Le 4 mai 1960, à sa grande surprise, le Présidium de la Cour Suprême de RSSM décida de ramener sa détention à quatre ans et sa déchéance des droits civiques fut révoquée.

On ne sait pas quand il a été libéré et quelle a été sa destinée ultérieure. Selon la nouvelle sentence, la mise en liberté de Zaharia Doncev devait avoir lieu le 11 décembre 1960. Enfin, Zaharia Doncev a été réhabilité par la Cour Suprême de RSSM le 4 avril 1994.

Article de Mihai Taşcă, docteur en droit, repris sur le site http://www.timpul.md/articol/patru-scrisori-anticomuniste-18535.html

Traduit pour www.moldavie.fr

Relecture – Didier Corne Demajaux.

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