Une promenade à travers les villages moldaves peut déprimer parfois. Des localités désertes, des terrains en friche, des bâtiments abandonnés, plutôt dévastés… Nous avons discuté avec l’économiste de l’Institut pour le Développement et les Initiatives Sociales « Viitorul » de Chisinau, Viorel Chirviga, au sujet des transformations subies par l’agriculture de type soviétique après l’an 1991.
Le Journal National : Quel héritage a légué l’URSS à l’agriculture de Moldavie. La Moldavie soviétique a-t-elle été un pays agricole ou c’est plutôt un mythe ?
Viorel Chirviga : Après les années 1945-1946, dans la Moldavie soviétique furent créés des kolkhozes. Certains se sont avérés efficaces, mais la plupart en rapportaient des pertes à chaque fin d’année.
A part cela, des exploitations agricoles se distinguant par leurs dimensions furent fondées. C’étaient de vrais géants de l’agriculture - des entreprises spécialisées surtout dans la pomiculture et la viticulture. Mais ces entreprises-là n’ont jamais eu du succès remarquable en termes de productivité. Leur productivité était visiblement inférieure à celle des pays occidentaux. En principe, on mettait un fort accent sur l’agriculture. Mais il serait injuste d’affirmer que nous n’avons pas eu d’industrie. Il y a eu beaucoup d’unités industrielles, mais la plupart en ont été construites dans la partie est du pays, soit en Transnistrie. 40% du capital était concentré dans cette région-là.
Privatisation
• Comment s’est passée la « désoviétisation » de l’agriculture en Moldavie ?
En 1991, quand nous sommes devenus indépendants, la plupart d’exploitations agricoles étaient au seuil de la faillite. Pendant les années suivantes, on s’attendait à des changements, mais la puissante nomenklatura communiste ne souhaitait pas des changements dans l’organisation des kolkhozes. Le premier Parlement moldave réunissait un grand nombre de chefs de kolkhozes et d’entreprises agricoles qui plaidaient pour le maintien des structures anciennes. Ainsi, la privatisation dans le secteur agricole n’a commencé que pendant les années 1996-1997.
• Pourquoi vous appelez ce processus « privatisation » ? N’y a-t-il eu des rétrocessions, comme en Roumanie, par exemple ?
Non ! Ici la soviétisation de l’agriculture a été plus intense qu’en Roumanie : les villages étaient concentrés au sein des kolkhozes, on faisait les gens déménager pour ces raisons-là. Quant à la privatisation, il y a eu divers projets, mais la Moldavie n’a pas eu sa propre conception de privatisation. Les Américains nous ont suggéré un modèle de privatisation des terrains. Mais ce fut en fait un groupe d’experts venus ici pour des loisirs… Un point faible de la Moldavie est qu’ici les réformes n’ont pas des noms et des responsables. Le pays n’a pas eu sa vision de développement, sa conception de reforme, il n’a rien eu…
En grandes lignes, la privatisation s’est faite de la sorte : sans égard au nombre d’années qu’on avait travaillé dans les secteur agricole, ni à d’autres indicateurs, on attribuait aux paysans des terrains agricoles, des parcelles de plantations pluriannuelles et des biens de la propriété des anciennes entreprises agricoles. Comme ça, on recevait trois ou quatre types de propriétés dispersées. Il y a eu des problèmes sérieux concernant la répartition des terrains - les meilleures terres ont certainement été attribuées aux anciens nomenklaturistes, chefs de kolkhozes, responsables qui disposaient d’information relative à la fertilité du sol. D’ailleurs, on utilisait des données périmées, car on n’avait pas de ressources pour de nouvelles analyses du sol.
La dévastation
• Qu’est-il arrivé aux biens, à l’équipement, aux propriétés des kolkhozes ?
Les propriétés des kolkhozes ont été distribuées. On avait le droit à une parcelle de terrain, y compris de plantations pluriannuelles, et aux biens. Dans certains villages, où les gens se sont avérés plus impatients, on a recouru à « l’utilisation naturelle ». C’est-à-dire, on a tout détruit et amené chez soi des morceaux d’immeubles, des machines agricoles, etc. Quand il a émis la loi respective, l’état n’a pas tenu compte du fait qu’il est impossible de partager, par exemple, une entreprise d’élévation d’animaux. Ces entreprises-là ont été démontées par les paysans, démolies et amenées chez soi. L’outillage eut le même sort.
• Quelles sont les caractéristiques de l’économie de la Moldavie après la privatisation ?
On ne peut pas parler d’une caractéristique générale. Dans le sud, tout comme dans le nord du pays, il y a eu des exploitations agricoles collectives qui ont survécu. J’ai visité beaucoup de localités du sud, où la terre a été rendue aux anciens chefs de kolkhozes. Dans la plupart de localités, les kolkhozes ont été transformés dans des sociétés à responsabilité limitée. Les directeurs des SARL concluaient avec les paysans des contrats de fermage, mais après un grand nombre d’entre eux se permettaient de ne pays payer le loyer aux propriétaires pendant des années. Bien que typique, un tel état de choses n’est pas quand même caractéristique à tous les villages. Il y a aussi des petites exploitations agricoles, mais elles ne sont pas efficaces. Nous avons environ 1,6 millions de hectares de terrains agricoles et, en même temps, nous avons plus d’un million de propriétaires. C’est un lotissement excessif ! Pour cette raison, on ne gagne pas bien de l’agriculture. Un phénomène répandu est à présent l’abandon des terrains. Leurs propriétaires ont immigré en Italie, Espagne, Russie, etc. Dans la plupart de cas, on ne souhaite pas vendre les terrains. Tout simplement, on les laisse en friche. Voilà pourquoi, la productivité de l’agriculture en Moldavie est très basse. La récolte annuelle de céréales varie de 23 à 25 quintaux à l’hectare. En Hollande, par exemple, la récolte moyenne pour cinq ans est de 80 quintaux à l’hectare.
Le pronostic optimiste
L’analyste économique de Chisinau, Veaceslav Ionita, est optimiste quant à l’avenir de notre agriculture, son espoir étant surtout lié aux petits entrepreneurs. « Tout le monde me demande que peut faire le gouvernement. Que peut-il faire ? Il ne doit rien faire ! Notre l’agriculture a été détruite à cause du fait qu’on cultivait des années de suite du maïs et du blé qui ne nécessitent pas de gros efforts technologiques et financiers. Le blé donne 6 000 lei à l’hectare, tout au plus, et les dépenses requises se chiffrent à 4 000 lei. Le profit constitue donc 2 000 lei (150 dollars). Avec cet argent, il faut payer les impôts. Qu’en reste-t-il ? Les plus efficientes sont les cultures techniques, telles que la betterave à sucre, l’oignon, les concombres. Toute culture technique qui demande des technologies et des investissements peut donner de bons revenus. A mon avis, le temps des investisseurs est proche. Je pense surtout aux Moldaves qui reviendront de l’étranger et lanceront des affaires ici. Selon les statistiques, environ 3-5% des membres d’une société ont des aptitudes d’entrepreneurs. Environ 500 000 Moldaves sont maintenant hors le pays. Dans 5-6 ans, ils auront de l’argent, des aptitudes, ils auront un métier. J’ai en vue qu’ils pourront faire quelque chose. Produire et vendre, par exemple. Environ 20 000 d’entre eux sont à l’étape du mûrissement. Je crois que dans une année ou deux, environ 20 000 personnes reviendront dans le pays et fonderont des entreprises à 5 ou 7 employés. Ils auront du capital et des aptitudes, ils apporteront une culture économique nouvelle - ils ne sauront pas donner des pots-de-vin, ils payeront honnêtement les impôts. A présent, la corruption persiste. Cependant, si l’on a une petite affaire, on peut construire de manière normale ses relations avec l’état. Je crois que dans trois ans, les petites entreprises s’épanouiront en Moldavie."
Article publié sur http://www.interlic.md/Economie/1770.html, traduit par Veronica Ciobanica, élève en 12-ième au Lycée « Ioan Voda » de Cahul, membre de l’association JUNACT