En février 2012, le plus important journal norvégien d’affaires „Dagens Næringsliv" a inclus Esenia Steckmest dans le top des 10 les plus performants immigrants de Norvège. Esenia a impressionné le jury par ses performances professionnelles dans le domaine de l’assistance juridique en matière énergétique, ainsi que par le travail de volontariat au service de la diaspora moldave de Norvège. Tout cela, à l’âge de seulement 33 ans.
Esenia, quels sentiments t’éveille une appréciation tellement importante et comment s’est passée la remise des prix aux 10 top immigrants de Norvège ?
J’ai éprouvé des émotions de joie tant pour moi, que pour ma famille, ma compagnie, mes amis, la Moldavie et les Moldaves. Le gala s’est passé le 14 février 2012, en présence du jury, des représentants des plus grandes sociétés de Norvège, des invités de l’étranger.
Dans mon discours, j’ai remercié à mon pays d’adoption pour l’hospitalité, mais j’ai aussi parlé de mon rêve d’enfance d’améliorer le niveau de vie et de moderniser le village de mes grands-parents - Mărcăuți.
En plus, j’ai parlé des personnes-modèles qui nous influencent, nous inspirent, nous déterminent à procéder d’une façon ou d’autre et nous aident à prendre des décisions.
Ce prix est important pour moi personnellement, comme pour les Moldaves qui sont à l’étranger et qui sont marqués du cliché « des nouvelles du plus pauvre pays de l’Europe ».
Le top des 10 immigrants de l’an 2012 réunit des personnes originaires de Chine, de Sri Lanka, du Pakistan, de Pologne. Les Moldaves, arrivent-ils souvent à remporter de tels prix ?
C’est le deuxième prix remporté par des Moldaves en Norvège. Pour un petit pays comme le nôtre, c’est une performance importante.
En 2008, le même prix a été accordé à Florentina Harbo, qui, malheureusement, n’est plus parmi nous. Dommage … Le souvenir d’elle me comble d’émotions de tristesse et de révolte contre cette vie impitoyable qui est souvent tellement injuste. On aurait pu faire tant de choses ensemble …
Vous êtes diplômée d’une faculté de droit de Chișinău. Dans quel domaine travaillez-vous maintenant ?
Je suis consultante et juriste à une des plus connues sociétés internationales d’avocats Wikborg, Rein & Co, basée à Oslo, mais qui a aussi des branches à Shanghai, Singapore, Kobe ou Londres. Nous prêtons de l’assistance juridique dans le domaine énergétique en Europe, Afrique, Amérique Latine et Asie.
Nos contrats sont énormes, écrits sur des milliers de pages, raison pour laquelle nous travaillons en équipe. Mes collègues (des Norvégiens, des Américains, des Australiens, des Brésiliens) sont extraordinairement doués, ayant des diplômes des meilleures universités du monde et une riche expérience de travail. C’est un vrai plaisir de travailler avec des gens talentueux qui te font apprendre des choses utiles. Ayant leur exemple, je pense que j’aurai dû quitter mon pays plut tôt et obtenir mon premier diplôme à l’étranger.
Le modèle nordique de développement est unanimement reconnu comme un des plus viables du monde. Comment percevez-vous ce système, compte tenu que vous venez d’un autre système ?
En général, je suis impressionnée par la façon des Norvégiens de voir la réalité, d’interpréter les choses et les relations entre les gens. Ils ne se plaignent jamais de leur vie.
Voici un exemple récent – il s’agit d’une femme avec laquelle j’ai partagé une chambre d’hôpital. Après un accouchement compliqué, son enfant a subi une fracture de jambe. Mais quand son époux lui a demandé comment s’était passé l’accouchement, elle a répondu : « Très bien, nous devons rester un certain temps à l’hôpital. La situation aurait pu être pire ».
D’autre part, une des mes amies norvégiennes a fait un cancer de sein et a subi une opération. Mais la vie continue pour elle, en plus, elle est contente d’avoir été opérée à temps… Je ne l’ai jamais entendue se plaindre. D’autre part, je pense qu’une Moldave aurait perçue une telle situation comme une tragédie et une dépression aurait été inévitable pour elle.
Dans la famille, les Norvégiens mettent surtout l’accent sur le respect réciproque, la gentillesse, la ponctualité, le sport, l’alimentation correcte, l’encouragement des actions, des opinions propres et de la liberté. Croyez-vous que les enfants du plus riche pays d’Europe dorment au jardin d’enfant dans des lits de luxe ?
Non – ils dorment dans des sacs en laine, dans leurs landaus, dans la rue, sans égard à la pluie, au vent ou au froid. Seulement s’il fait trop froid, ils dorment à l’intérieur. J’ai été étonnée du fait que les Norvégiens n’utilisent des médicaments que très rarement. Ils laissent l’enfant lutter contre l’infection et développer de cette façon son système immunitaire. Les Norvégiens ne se plaignent pas et ne se stressent pas
Vous êtes la Présidente de l’Association des Moldaves de Norvège. Quand l’idée de fonder une telle association vous est-elle venue et comment avez-vous mis en application un tel projet ?
L’Association des Moldaves de Norvège a été fondée suite à plusieurs entretiens amicaux entre les Moldaves de ce pays, ainsi que suite aux rencontres entre avec des Moldaves établis dans d’autres pays nordiques. L’association a été officiellement enregistrée le 5 juin 2010, à Oslo.
Un de ses objectifs est de collecter des ressources financières nécessaires pour organiser diverses actions. Outre cela, ce qui est plus important encore, c’est les ressources humaines. Chaque membre contribue selon ses possibilités. Bien sûr, nous voudrions organiser des actions qui aient un écho important, mais pour cela nous avons besoin de support financier. Nous agissons graduellement et, comme les Norvégiens nous recommandent, nous essayons de ne pas nous stresser.
Il est important de continuer ce que nous avons commencé, de nous aider réciproquement pour avoir une vie meilleure et faire quelque chose pour notre Moldavie. Beaucoup de Moldaves sont, malheureusement, assez déçus de la vie en Moldavie, des critiques négatives, des rumeurs, de la perfidie et, une fois venus ici, ils ne veulent plus entendre parler de leurs compatriotes, ni de la Moldavie.
Comment vous sentez-vous en Norvège ?
On s’accoutume vite au bien (dit-elle en souriant - note de l’auteur). Je suis contente d’être partie en 2003 de Moldavie, malgré les conseils de mes proches de ne pas partir et commencer par laver le plancher.
Je crois que même si j’avais à laver des planchers toute ma vie, j’aurais été plus heureuse ici qu’en Moldavie. J’aime le milieu et la mentalité des Européens, la liberté, la position de la femme dans la société d’ici, le fait que les gens pensent à la société, non seulement à leur bien-être. Personne ne te presse pour faire ou ne pas faire quelque chose (avec qui te marier, quand faire des enfants, comment les éduquer, où aller acheter du meuble ou quand aller à l’église).
Ici, si l’on travaille honnêtement, on obtient des résultats, tandis qu’en Moldavie travailler honnêtement ne t’assure pas une bonne position. Moi, j’aime la stabilité et j’aime vivre parmi des gens heureux.
A juger d’après le nom de famille, vous êtes mariée avec un Norvégien. On sait que dans les pays scandinaves les hommes et les femmes assument des rôles égaux dans la famille et dans la carrière. Que pourriez-vous en dire ?
Avant d’y venir, j’avais lu qu’en Norvège on respectait l’égalité des droits. Et j’ai pu constater que c’est vrai, parfois on exagère même. En Norvège, on peut voir beaucoup d’hommes travailler au jardin d’enfants ou qui prennent un congé de paternité pour éduquer leurs enfants et, d’autre part, des femmes qui travaillent dans les constructions. Ici, une femme se sentirait offensée si un homme voulait payer sa consommation dans un café.
Autrefois, je croyais que j’allais me marier avec quelqu’un de Moldavie ou d’un pays ex-soviétique, car on parle la même langue, on partage la même culture. Maintenant, je n’imagine plus ma vie avec un autre homme. Assoiffée de liberté et avec de grandes ambitions, comme je suis, je n’aurais pas été heureuse avec quelqu’un d’autre.
Qu’est-ce que les femmes Moldaves devraient-elles apprendre à celles de Norvège ?
On pourrait écrire tout un livre pour répondre à cette question. Moi, je classifierais nos femmes dans deux catégories : les femmes attachées au ménage, avec un grand cœur, laborieuses, qui réussissent à tout faire et les femmes qui ont du toupet, qui ont la seule préoccupation de tirer de l’argent de la part des hommes ou bien tricher sans travailler.
Celles de la première catégorie devraient avoir plus de confiance dans leurs propres forces, changer leur philosophie selon laquelle la vie est impossible sans un homme dans la maison, se faire respecter, avoir des ambitions, assumer des risques. Un jour, quand j’ai demandé à ma grand-mère si elle avait été heureuse dans sa vie, elle m’a répondu : « Crois-tu, ma chère, que j’ai eu le temps de penser au bonheur ?! » J’espère qu’au moins la jeune génération de femmes pensent comme les Européennes.
Celles de la deuxième catégorie devraient se respecter plus et ne pas être dépendantes des hommes ou des ainsi-dits « sponsors ». Essayer de gagner de l’argent et connaître le goût de la liberté financière qui te donne de la liberté de l’âme. Or, tant qu’on a un cerveau qui fonctionne et un désir de faire quelque chose, tout est possible.
Article de Cristina Zavatin, repris sur le site http://pentruea.md
Traduit pour www.moldavie.fr