Nina Tampiza est un professeur moldave, bonne amie de notre portail, qui a dû interrompre sa fructueuse activité pédagogique pour aller en France. Madame Tampiza a eu la bienveillance de nous donner cette interview afin de nous dire pourquoi y est-elle partie, comment s’y est-elle adaptée, quels sont ses projets d’avenir.
Première partie.
- Chère madame Nina Tampiza, vous avez dans votre palmarès une riche expérience pédagogique. Pourriez-vous en faire une revue ?
J’aimerais vous remercier pour votre intérêt envers mon expérience pédagogique. Je souhaite vous dire que j’aime beaucoup mon métier, autant que le français.
Pendant les années ’80, en raison des nombreux postes vacants d’enseignants, les administrations des écoles réclamaient des spécialistes auprès des Universités pédagogiques. En 1982, à la fin de mes études supérieures, examinant la liste d’écoles qui avaient besoin d’un enseignant de français, j’ai choisi l’école du village de Costangalia, district de Cantémir, la région où je suis née. Dans cette école, je fus guidée par les meilleurs enseignants, des personnes très compétentes en pédagogie et en méthodologie de l’apprentissage. C’est là que j’ai appris le métier d’enseignante. Au bout de trois années de travail, je récoltais mes « premiers fruits » : mes élèves ont remporté des prix à l’olympiade scolaire dans le district.
A partir de l’an 1987, j’ai détenu la fonction d’inspectrice au Département Général Education du district de Cantémir. Pendant deux ans, j’ai collaboré avec les enseignants du district, puis, en 1995, quand le premier lycée théorique a été fondé à Cantémir, j’ai reçu l’invitation d’y travailler comme professeur de français (à ce temps-là, les lycées n’organisaient pas de concours pour recruter des enseignants). J’ai accepté l’offre sans trop réfléchir.
J’ai trouvé ces 5 années d’enseignement au lycée « Dmitrie Cantémir » assez fructueuses. C’était une période où les adolescents avaient soif d’apprendre à l’école et au lycée en raison des conditions difficiles de vie : il y avait souvent des coupures d’électricité, de chauffage, de gaz, d’eau, car la Moldavie devenait un pays indépendant. Dans le nouveau lycée, il n’y avait ni chaises, ni manuels, ni chauffage.
Je devais chercher des textes en français, les écrire au tableau pendant les récréations, puis, proposer aux élèves de les recopier dans leurs cahiers. Les élèves étaient très motivés pour apprendre, toutes ces conditions m’ont poussée vers la recherche pour faire face à leurs désirs. Ces années-là nous ont appris à mettre en valeur toute notre volonté de progresser. Et les résultats n’ont pas tardé : 5 années consécutives, mes élèves de toutes les classes ont remporté des diplômes aux olympiades scolaires régionales et nationales. Beaucoup d’entre eux ont suivi le chemin d’enseignant de français, mais, malheureusement, pas en Moldavie, mais un peu partout dans le monde.
Dans ma formation pédagogique, l’Alliance Française de Moldavie a joué un grand rôle, j’en suis membre depuis 1997. Nous avons fondé une antenne ALF à Cantémir, ce qui a permis d’ouvrir de nouvelles possibilités pour la pratique du français : nous organisions des rencontres avec des enseignants français de Lyon ; les élèves participaient au concours « Plume d’Or » organisé par ALF ; ils pouvaient étudier dans la bibliothèque de l’antenne ALF Cantémir ; suivre des cours organisés auprès de l’ALF Cantémir où nous utilisions de nouvelles méthodes d’apprentissage du français, ce qui plaisait beaucoup aux élèves. Mais la suspicion de contrebande de livres par des politiciens peu éclairés a entraîné la disparition de cette antenne d’ALF Cantémir.
Les années 1998-1999 furent riches en nouvelles initiatives comme, par exemple, la création des classes bilingues. Chaque jeudi, la télévision nationale diffusait une émission francophone, présentée par Corina Fusu (actuellement - vice-présidente du Parti Libéral), qui informait le public sur la vie des classes bilingues francophones de Moldavie. Je suivais avec intérêt ces informations.
L’idée des classes bilingues m’a tellement plu que ma famille a décidé de quitter la ville et les enfants -leur lycée pour avoir la possibilité d’apprendre dans des classes bilingues, car elles n’existaient pas encore dans le Sud du pays. Puis en 1999, j’ai été acceptée en tant que professeur de français au lycée théorique « Ioan Voda » de Cahul.
La première initiative que j’ai prise dans ce lycée, pensant à mes enfants, fut de proposer à l’administration de créer les classes bilingues. Après maintes démarches auprès des autorités, nous avons enfin réussi à mettre en place des classes bilingues où ma fille a passé avec succès le test psychologique et a été inscrite en première.
L’avantage de ces classes bilingues francophones réside dans l’utilisation des nouvelles méthodes d’apprentissage créées dans l’espace européen, des manuels et des moyens techniques offerts gratuitement par l’Agence Universitaire de la Francophonie.
En plus, il y a des formations gratuites pour les professeurs dans des Centres Internationaux de langues appliquées en France. En 2000, j’ai eu l’occasion de faire un stage pédagogique au CLA de Besançon, après avoir rencontré des représentants de plusieurs écoles internationales impliquées dans le projet « Cap sur l’Europe », dirigé par l’association Ratatouille de Pléneuf -Val-André en Bretagne.
L’idée que l’élève doit avoir un entourage français ne m’a jamais quittée. L’authenticité est le meilleur moyen d’exercer une langue. Pour le français, j’ai trouvé l’association Ratatouille, dont ses membres sont venus travailler chez nous dans les classes bilingues du lycée « Ioan Voda ». Ils ont organisé des ateliers de jeux (atelier cirque pour un apprentissage ludique de la langue) très appréciés par les enfants. Avec les élèves, nous avons fait des exposés sur l’eau, sur les plats moldaves, sur nos traditions que nos partenaires ont emmenés en Bretagne et qu’ils ont présentés, aux côtés d’autres pays participants à ce projet, aux gens de la région afin de les faire connaître notre pays.
Pour assurer la continuité à nos activités, Elen Guy, étudiante à l’Université de Rennes, est venue travailler avec nos élèves pendant 2 mois en 2004, dans différentes écoles du district de Cahul et dans les classes bilingues.
- Votre activité pédagogique a été harmonieusement combinée avec l’activité associative – le théâtre francophone de Cahul est le fruit de ce mariage. Comment est-il né et quel sont les points forts de son parcours ?
Oui, vous avez raison. Étant toujours à la recherche d’un entourage authentique français, pendant nos vacances pédagogiques de presque 2 mois, lors de mon temps libres, je feuilletais et je lisais la revue pour les enseignants francophones « Le Français dans le Monde ». J’avais de vieux numéros de cette revue offerts par les responsables linguistiques de l’ALF Chisinau, car nous ne pouvions pas nous permettre de nous y abonner à cause des salaires misérables que nous avions. En lisant des articles sur les méthodes de travail avec les élèves en français, j’ai trouvé un article qui portait sur le théâtre francophone, signé par Jacques Eichperger, coordinateur général du réseau international ARDRALA. Dans cet article, j’ai trouvé toutes les coordonnées de l’association « Roêland ». J’ai écrit une lettre pour demander à Jacques si son association existait encore, laissant en bas de la lettre mon adresse e-mail. Jacques a été très réceptif et m’a envoyé un message par internet me conseillant de consulter la page web de leur association. J’ai lu avec la plus grande attention les pages du site, après quoi nous avons fait des démarches officielles pour nous inscrire au festival « Artscène » tenu à Gand, en Belgique. Chose dite, chose faite - au mois d’avril 2004, les élèves du lycée « Ioan Voda » de Cahul participaient au festival international du théâtre francophone en Belgique.
De retour en Moldavie, la tête pleine, bouillonnante d’idées nouvelles, nous avons fondé en octobre 2005 l’association « Junact ». Cette association a organisé à Cahul deux éditions du festival national de théâtre pour les jeunes francophones.
Les points forts de ce parcours, outre ce que je viens de dire, sont aussi les participations des élèves moldaves à de nombreux festivals internationaux du théâtre francophone en République Tchèque, en France, en Italie. Ces participations motivaient une fois de plus les élèves à mieux apprendre le français, à l’exercer dans des milieux plus ou moins authentiques, à connaître d’autres cultures et à échanger des idées. Malheureusement, la politique s’est immiscée dans ce projet. En Moldavie, réussissent ceux qui sont proches du gouvernement, les autres n’ont pas de place. Cette association a dû cesser ses activités.
Fin de la première partie de l’interview.
Le 14 décembre 2011