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Stefan Ihrig, chercheur associé à l’Institut Georg Eckert de recherche international sur les manuels. Septembre 2008

Stefan Ihrig - vous venez de publier un livre sur la Moldavie en allemand - pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit pour le public francophone ?

Mon livre aborde le problème du nationalisme en Moldavie sous un angle particulier. Depuis l’indépendance, le pays a été sujet à deux forces nationalistes contraires - l’une essayant de réussir une union avec la Roumanie, l’autre essayant de préserver la Moldavie en tant qu’Etat indépendant. Le premier, le roumanisme, avance que la population majoritaire de la Moldavie est roumaine, et en conclut que la réunification devient une suite logique. Le moldovénisme, par contraste, avance que la population majoritaire constitue la nation moldave. Cette nation, considère-t-il, a besoin de préserver un Etat indépendant. Comme si tout cela ne prêtait déjà pas à confusion, le cas moldave a développé des particularités propres. Depuis 1994, les partis se revendiquant du moldovénisme ont été élus pour gouverner le pays, et pourtant jusqu’à l’année scolaire 2006-2007, c’est un contenu roumaniste qui était enseignée dans les écoles ; particulièrement dans l’enseignement de l’histoire. Ainsi, pendant que le moldovénisme dirigeait le pays, l’unification avec la Roumanie était réclamée et préparée idéologiquement dans les enseignements d’histoire.

Dans mon ouvrage, j’analyse la façon « dont la nation a été écrite » par les deux variétés de nationalisme en Moldavie. Je regarde l’historiographie générale tout autant que les manuels d’histoire. Ces derniers sont devenus un enjeu central du conflit entre les deux nationalismes. En fait, ils sont devenus en même temps un instrument et un objectif de cette lutte. Le conflit à propos de l’enseignement de l’histoire est devenu très menaçant pour les gouvernements moldaves en 1994 et 2002, quand des manifestations ont duré plusieurs semaines et que le gouvernement s’est senti assiégé. En 1994, on a même assisté à un "autodafé de manuels" (d’anciens manuels soviétiques, en signe de protestation contre "l’histoire moldave") en Moldavie - comme on brûle des drapeaux ailleurs dans le monde. La Moldavie est un cas fascinant de conflit nationaliste, et j’espère que mon livre, qui constitue une étude de cas des grandes narrations de la nation, contribue à améliorer notre compréhension de ces problématiques.

Vous êtes un très bon spécialiste de la Gagaouzie. Comment voyez-vous l’évolution de cette région ?

A nouveau, ma perspective sur la Gagaouzie est influencée par mes propres intérêts académiques. En tant qu’historien avec un intérêt fort dans l’historigraphie et l’étude du nationalisme, j’ai enquêté un peu sur la façon dont l’identité gagaouze se construit. Le peuple gagaouze est entré sur la scène moldave et de l’Europe du Sud-Est à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ils semblaient venir de nulle part. Soudain, ils ont proclamé leur indépendance, et au bout d’un conflit relativement peu sanglant, et après courte période de temps, ils ont obtenu un accord d’autonomie unique - non seulement en Europe, mais également dans le monde. Il inclut non seulement des modalités spécifiques de distribution du pouvoir, mais stipule également que dans l’éventualité d’une unification de la Moldavie avec la Roumanie, la Gagaouzie dispose du droit à l’autodétermination externe.

Si tout ceci est très impressionnant, cela pose la question de savoir si les Gagaouzes sont une nouvelle nation en Europe. Plusieurs facteurs semblent plaider pour une telle hypothèse. Cependant, si l’on regarde de plus près, plusieurs marqueurs clés sont absents. Alors que les Gagaouzes pouvaient se mobiliser pour une cause gagaouze au début des années 1990, il n’y a pas de profonde nationalisation de l’identité, semble-t-il. La langue gagaouze est en recul, le russe est dominant. Même l’histoire gagaouze n’est pas vraiment un objet d’investigation particulier pour la petite élite gagaouze. Il semble donc, comme notre collègue Stefan Troebst l’avance à propos du nationalisme transnistrien, que l’on a affaire à un "nationalisme réactif". Ce nationalisme a rempli son but premier en créant un espace dans lequel on retrouve la langue russe et certains types de relations qui ont peut-être plus à voir avec l’époque soviétique qu’avec la survie de l’identité gagaouze. Alors que cet espace a pu être utilisé pour développer l’identité gagaouze, la région gagaouze fait face à des problèmes similaires du reste de la Moldavie - une économie faible et l’émigration. Il reste à voir comment la Gagaouzie est équipée pour faire face à ces défis et à promouvoir l’identité gagaouze dans le futur.

Comment voit-on la Moldavie depuis Berlin ?

Bien que n’étant pas un spécialiste des relations germano-moldaves, on peut affirmer sans trop se tromper que la Moldavie doit vivre avec un gros problème d’image en Allemagne. On ne l’évoque que très rarement dans les nouvelles nationales à l’exception de sujets comme le trafic d’organes et la prostitution. Je suis très heureux que certains de mes collègues ont fondé l’institut de Moldavie à Leipzig, qui pourra heureusement contribuer à l’évolution de cette image de la Moldavie en Allemagne, avec davantage d’équilibre et de nuance.

Stefan Ihrig est doctorant à l’université de Cambridge et chercheur associé à l’Institut Georg Eckert de recherche international sur les manuels (Braunschweig/Allemagne), où il a pris part à un projet sur la Moldavie de 2003 à 2007. Il a été conférencier à l’Institut de turcologie à l’Université libre de Berlin. Il est co-auteur de l’étude “Europa am Bosporus (er)finden ? Die Diskussion um den Beitritt der Türkei zur Europäischen Union in den britischen, deutschen, französischen und italienischen Zeitungen - Eine Presseanalyse“, Francfort, 2005 (avec Christian Weiß et Roberta Carnevale).

Liens : http://www.gei.de/index.php?id=1137#c3540

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