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Périple photographique dans des villages en voie de disparition

Le photographe roumain Ștefan Susai a parcouru la Moldavie pour immortaliser les villages en voie de disparition.

Depuis des années, Ștefan voyage en Moldavie pour découvrir et photographier ce qui reste encore du charme rural. En fait, Ștefan aime paraphraser le grand poète moldave, Grigore Vieru, qui avait dit : « Alors que certains rêvaient d’atteindre l’Espace, moi, j’ai rêvé toute ma vie de traverser le Prut ». Or, Grigore Vieru rêvait de traverser le Prut pour aller en Roumanie, tandis que Ștefan a longtemps rêvé de traverser le Prut pour aller en Moldavie et découvrir ses villages.

Ștefan Susai

« Quand j’étais petit et j’entendais parler qu’il y avait des Roumains des deux côtés du Prut, je ne comprenais rien et personne ne m’a expliqué la situation. Quand je suis arrivé ici, je me suis beaucoup attaché aux villages moldaves. La Moldavie garde encore son authenticité – on y voit des paysans authentiques, de l’architecture rurale », constate Ștefan.

Une authenticité menacée

Cependant, l’authenticité, il faut la chercher… Par exemple, à Trușeni, un village situé non loin de la capitale moldave, il a découvert plutôt des maisons imitant le style « européen », d’une part, et, d’autre part, beaucoup de maisons abandonnées. « Les villages proches de Chișinău ont été transformés en zones dortoirs et ont pratiquement perdu leur personnalité », considère Ștefan.

L’architecture rurale a beaucoup souffert, car, avec la migration, on veut faire chez soi ce qu’on a vu à l’étranger et, de cette façon, les villages risquent de devenir une forme sans contenu. Les maisons qui ont conservé leur aspect sont d’habitude celles dont les propriétaires sont décédés…

Ștefan regrette l’« agression contre le village », le fait qu’il n’y ait plus d’artisans, comme dans le passé, pour créer des décorations en bois, par exemple, et qu’on copie ce qu’on voit ailleurs.

«  Il y a des choses incompatibles avec l’architecture d’ici et les maires devraient intervenir, considère Ștefan. J’ai vu dans un village une maison ronde et j’ai demandé au maire comment il avait permis cela. Il m’a répondu que les propriétaires avaient travaillé au Portugal et ils avaient de l’argent…

Je crois qu’il ne faut pas admettre cela au centre du village où il faut préserver l’architecture. Les étrangers qui viennent visiter la Moldavie veulent découvrir son authenticité, ce qui caractérise sa nation ».

L’une des plus belles maisons que Ștefan a découverte se trouve à Mălăiești : une maison simple, peinte en couleur bleue, construite par des paysans – « des gens qui n’avaient pas fait des études, mais qui étaient sensibles à ce qui est beau ».

A Trușeni, rue Livezilor, père Victor a ouvert à Ștefan les portes de la maison où il avait grandi. Sa mère est décédée à l’âge de presque cent ans et maintenant c’est un chien maigre attaché qui garde la maison.

La peinture du porche s’estompe. Un cadenas est attaché à la porte. Dans la maison, sous une poutre, on découvre un tas de photos oubliées, enveloppées dans du vieux papier. Les fichus à fleurs ont pris la poussière. Personne ne s’est assis depuis longtemps à la table. L’ampoule dans la pièce principale (casa mare) n’allume plus. Toutefois, la maison a de l’âme. C’est comme dans un magasin d’antiquités.

Le propriétaire actuel déplie le papier aux vieilles photos et prononce les noms de ceux dont les visages on voit sur les photos. Sur la table, il y a un numéro du journal soviétique « Труд » (« Le travail ») qui parle de la visite de Gorbatchev en France.

Ștefan a pu constater que les villageois moldaves sont accueillants, hospitaliers et désireux de parler – « en fait, ils sont justement comme on les voit dans les brochures sur la Moldavie  ». Il avoue qu’il rencontre rarement quelqu’un qui semble avoir une mauvaise journée. Par contre, il a croisé des gens aux histoires de vie extraordinaires.

« Quand les villages auront disparu, les photographies resteront »

Lorsque le maire du village de Pietrosu lui a proposé de voir une école sans élèves, Ștefan n’a pas hésité une seconde, mais, une fois entré, les larmes ont rempli ses yeux. Dans la plupart de salles de classe, tout était intact, il y avait même du matériel pédagogique et sur un tableau noir on voyait l’inscription « Chère école, je ne t’oublierai jamais… ».

A Horești, l’école qui accueillait autrefois plus de mille élèves n’a maintenant qu’environ 80 élèves. « L’école va plutôt disparaître, elle sera fermée », suppose Ștefan et s’acharne à prendre des photos avec les derniers, à son avis, élèves à entrer dans ces salles. « C’est impressionnant et terrible de savoir que mille enfants venaient chaque jour à cette école et qu’il n’en reste qu’à peu près 80. Dans une classe, il y a seulement quatre élèves. C’est quelque chose qui ne peut pas être décrit. Ce village va plutôt mourir, lui-aussi… Et quand on pense que ces villages ont connu des guerres mondiales, ont fait face à la période très difficile d’après le collapse de l’URSS et voilà que maintenant, en temps de paix, ce village, comme beaucoup d’autres, est en train de disparaître. C’est comme une personne malade connectée aux appareils qui va bientôt donner son souffle. C’est très douloureux… ».

Dans ce contexte triste, Ștefan a eu une expérience assez rassurante, quand il a pu convaincre un couple de jeunes de bien réfléchir avant de se mettre à reconstruire la maison héritée. C’était dans le village de Larga, en été 2015. La maison était tout à fait impressionnante – « avec des menuiseries exquises et des volets aux fenêtres ». Ștefan s’était arrêté devant la maison pour la regarder de près. Deux jeunes sont sortis et lui ont dit que leur grand-mère vivait là et qu’après sa mort ils allaient démolir la maison et construire une autre, « européenne ».

« Je leur ai dit qu’elle méritait d’être préservée – elle était si bien entretenue, en plus, une maison « européenne » n’intéresserait personne, car il y en a partout. Par contre, des maisons comme jadis, on n’en trouve plus beaucoup ».

Ștefan a trouvé la plus ancienne photographie de sa collection – datant de 1915 –à Cioropcani, dans une maison abandonnée depuis une vingtaine d’années. Ni le maire, ni le responsable du centre culturel (qui l’avaient accompagné) n’a reconnu aucun visage sur la photo. « D’abord, ce sont les maisons qui disparaissent, puis les villages et les photos c’est la seule chose qui reste  », constate Ștefan Susai.

Ștefan a publié plusieurs livres consacrés aux villages, aux maisons, aux habitants et aux traditions de la Moldavie, car il pense que ce sera utile pour les chercheurs qui viendront après lui – « le livre est comme une tranche de temps qu’on coupe et donne aux autres », affirme-t-il.

Il aurait aimé trouver des villages où la vie palpite : « Je n’ai pas eu l’intention de prendre des photos dramatiques. Mais c’est ce que j’ai pu découvrir pendant mon périple. Cela me fait triste… », avoue Ștefan.

D’après un article d’Aliona CIURCĂ publié sur https://www.zdg.md/stiri/parastasul-satelor-pe-cale-de-disparitie-fiecare-sat-care-dispare-este-o-celula-sanatoasa-care-paraseste-corpul-uman/

Le 29 novembre 2021

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