Article rédigé par Marion Roussey
Quel que soit le pays, les conditions de vie au sein des prisons apparaissent rarement convenables. En Moldavie, la situation carcérale est jugée catastrophique, selon les rapports de nombreuses organisations internationales : cellules surchargées, offrant des conditions de vie déplorables, violations fréquentes des droits des prisonniers et absence de prise en charge à la sortie entrainant de multiples récidives. La Moldavie a fait l’objet de plusieurs condamnations par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ce qui lui a valu d’entreprendre un certain nombre de réformes. Parmi la population, le fait d’avoir séjourné en prison est extrêmement mal perçu. Les anciens condamnés sont donc souvent tenus à l’écart, victimes de discrimination. Souhaitant mieux comprendre ce problème social, nous sommes allés à la rencontre d’Alexandru Lebedev, jeune reporter moldave ayant eu accès à la prison de Lipcani. Il nous livre son témoignage.
La prison de Lipcani, unique centre de rééducation pour jeunes en Moldavie
« Lorsque je suis entré dans le bâtiment, raconte Alexandru, j’ai été envahi d’un sentiment de vide et de tristesse. Les prisonniers ici sont jeunes. Ils ont entre 14 et 20 ans. La plupart ont été arrêtés pour viol ou crime. Je ne savais quel comportement adopter à leur égard, partagé entre la peur qu’inspirent leurs actes commis et le devoir de politesse que l’on applique envers toute personne rencontrée pour la première fois. Alors je leur ai simplement souri et ils m’ont souri en retour. Je venais au pénitencier dans le cadre d’un projet de TEDxYouth, l’association pour laquelle je travaille en tant que journaliste. Ce projet avait pour but la réalisation d’un reportage montrant les similitudes entre les jeunes, issus de milieux différents. » Alex a pu rencontrer une trentaine des 70 prisonniers internés. L’échange s’est déroulé dans une salle de classe, sous la présence d’un vigile. Le centre de rééducation de Lipcani est l’un des meilleurs centres pénitenciers de Moldavie. Malgré les mesures de contrôle et d’encadrement, les jeunes sont plus libres que dans les établissements standard. Certains détenus ayant atteint l’âge maximum, font la demande de continuer à purger leur peine dans ce centre.
L’école, le sport et les études derrière les barreaux
Parmi les jeunes en conflit avec la loi, beaucoup ont eu une enfance difficile. Issus d’une famille pauvre ou orphelins, habitués à voler pour se nourrir, puis tombés dans l’engrenage de la délinquance, ils n’ont pas beaucoup fréquenté l’école et certains détenus âgés de 14-15 ans arrivent à la prison sans savoir lire, ni écrire.
Interrogé sur les activités des détenus, le directeur de Lipcani explique que ceux-ci ont un emploi du temps chargé : cours le matin, dispensés par des professeurs des lycées alentours, sport l’après-midi ou apprentissage de métiers manuels. Chaque semaine, les détenus de Lipcani rencontrent ceux de Balti pour disputer des matchs de football ou de volley, inscrits dans le cadre d’une compétition amicale.
La prison de Lipcani est aussi le premier établissement pénitentiaire à avoir produit son propre journal, le mensuel « Aerzona », lequel était réalisé par les détenus afin de décrire l’atmosphère carcérale dans laquelle ils vivaient. Lancé en 2006 grâce au soutien financier de l’UNICEF, le journal a aujourd’hui cessé de paraître. Le projet a été succédé par d’autres du même type, tel que « la voix du photographe », par le biais duquel les détenus révèlent leur quotidien en utilisant le pouvoir de la photographie.
Le retour à la liberté, une étape difficile
« Afin d’engager la conversation, raconte Alex, j’ai demandé aux adolescents assis en face de moi d’inscrire sur une feuille ce que signifiait pour eux le fait d’être jeune. Certains ont dessiné des scènes décrivant la peur ou la violence. Beaucoup ont représenté leur famille ou leurs proches. Puis ils ont aussi évoqué leurs projets futurs. Ils caressent tous le même rêve : retrouver la liberté, chercher un emploi, se marier et fonder une famille. »
Malheureusement, les choses changent en sortant de prison et les couleurs de ce tableau idyllique perdent de leur éclat. Selon le directeur de Lipcani, 70% des détenus récidivent une fois dehors. Un chiffre en constante augmentation qui s’explique par les conditions matérielles accompagnant la libération. En effet, les détenus sortent de prison avec un salaire de 2000 lei environ et une formation professionnelle pour des métiers tels que maçon, charpentier ou encore plâtrier. Or les faibles opportunités d’embauche et la discrimination à laquelle ils sont confrontés ne leur permet pas de survivre bien longtemps. Souvent rejetés par leurs proches, ils sont rapidement rappelés par les dealers avec qui ils traitaient autrefois. De détenus mineurs, ils deviennent adultes criminels.
Ainsi la réinsertion sociale des anciens détenus n’est-elle pas suffisamment prise en charge. De nombreux experts, membres notamment de l’UNICEF, estiment que l’environnement carcéral a un impact négatif sur les jeunes. Selon eux, l’emprisonnement devrait être appliqué dans des situations extrêmes et remplacé, dans le cas contraire, par des mesures alternatives, telles que la médiation, le travail d’intérêt général ou le suivi socio-judiciaire. Surnommées par ces mêmes experts, « universités criminelles », les prisons moldaves nécessitent de nombreuses améliorations, comme le soulignent d’ailleurs les acteurs juridiques internationaux.
La situation carcérale de la Moldavie jugée en dessous des normes internationales
Suite à sa visite annuelle, effectuée du 1er au 10 juin 2011, le « Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants » (CPT) a remis au gouvernement moldave un rapport ayant été rendu public. Malgré des améliorations notoires, le Comité estime que « les efforts doivent être poursuivis en matière d’arrestation, de détention et de lutte contre la torture ». En effet, selon les récentes études réalisées par Amnesty Internationale et Promolex, les conditions de détention dans les prisons moldaves apparaissent bien inférieures aux standards internationaux. Les problèmes les plus sérieux sont la surpopulation, l’absence de lumière naturelle, le manque de ventilation, l’absence de chauffage en hiver, le non-accès à l’eau courante, ainsi que le manque d’hygiène et de nourriture. Les détenus s’exposent ainsi à des risques de tuberculose ou de contraction de la maladie du SIDA.
En janvier 2011, 6324 personnes étaient incarcérées en Moldavie. Les prisonniers sont séparés suivant la nature de leur faute (criminelle ou administrative) et, hormis dans la prison de Lipcani, les mineurs se retrouvent souvent internés dans les mêmes établissements que les adultes. Ce phénomène est causé par le manque de moyens financiers, mais aussi par l’inefficience des textes normatifs adoptés. En effet, condamnée à plusieurs reprises durant la période 2009-2010 par la CEDH pour violation de l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, concernant les traitements inhumains, la Moldavie s’est engagée à améliorer le sort des prisonniers. Ainsi, en 2010, le Parlement moldave adoptait une loi visant à construire de nouvelles prisons. L’acte revenait alors à la charge du Ministère de la Justice, lequel a lancé un appel aux investisseurs privés. Toutefois, selon le rapport de Promolex aucune démarche n’a été entreprise dans la pratique.
Entré en vigueur après les événements d’avril 2009 en raison des débordements administratifs opérés, (selon l’Institut des droits de l’homme, 467 opposants politiques ont été arrêtés après les élections du 5 avril 2009), le nouveau code des contraventions introduit un certain nombre de réformes concernant les conditions d’arrestation et de détention. Il vise à garantir, au même titre que la Constitution, les droits à la liberté et à la sécurité des personnes. Toutefois, les grèves de la faim, qu’entament certains prisonniers tels que ceux de Tiraspol en octobre 2009 afin de dénoncer des cas de torture, montrent que le chemin séparant les textes de la réalité est encore long à parcourir.
Photos réalisées par Andrian Rusu
Le 13 janvier 2012