Article par Gilles Ribardière
Il faut se réjouir que le gouvernement de la République de Moldavie nous envoie un ambassadeur ayant la dimension intellectuelle de Oleg Serebrian.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire son petit ouvrage, mais combien dense « Autour de la mer Noire : géopolitique de l’espace pontique » qui vient d’être publié en français aux Editions Artège.
A un moment où notre attention est focalisée, à juste titre, sur les Etats du Maghreb ainsi que sur l’Egypte, il importe de ne pas oublier ce qui se passe à l’est de l’Europe et qui nous touche directement. L’ouvrage d’Oleg Serebrian nous y aide.
Je commencerai toutefois par un regret, le même que celui souligné par François Frison Roche dans la préface : une insuffisance de la cartographie.
En fait pour bien saisir tous les enjeux, il conviendrait de lire le livre avec sous les yeux une grande carte de toute la région étudiée. En effet, Oleg Serebrian, qui a une connaissance exhaustive de toutes les composantes de l’espace pontique, énumère un nombre impressionnant de cités, districts, ethnies, langues, ce qui nous fait du reste toucher du doigt l’extraordinaire complexité de cet espace, plus particulièrement du Caucase, et dans une moindre mesure des Balkans. S’agissant de ces derniers, on retiendra qu’il situe en Macédoine le point le plus fragile du continent européen ; il l’exprime en ces termes « le nœud conflictuel le plus complexe est certainement représenté par la question macédonienne qui pourrait contaminer la région et y faire éclater tous les autres conflits dans la mesure où c’est le point focal qui affecte la majorité des protagonistes de la scène géopolitique de l’Europe balkanique » (p.183).
On pourrait s’étonner que les Balkans constituent un chapitre d’une étude sur l’espace pontique. Ce serait oublier qu’on y trouve les mêmes acteurs que dans le Caucase : la Russie, la Turquie et l’Union Européenne, sans omettre les Etats-Unis.
Ce qui surprend dans la réflexion de l’auteur sur les Balkans c’est son point de vue selon lequel il ne faut pas croire que la situation se soit durablement stabilisée à la suite des accords de Paris de 1995 mettant fin à la guerre : il a à cet égard une formule : « La guerre s’arrête mais le conflit se poursuit » (p.202)
Le nœud de vipère que constitue le Caucase diffère pour l’heure de la situation dans les Balkans en ce qu’en plus de conflits passifs et éventuels il y a des conflits actifs dont le plus connu est le conflit Tchétchène.
Si Oleg Serebrian ne manque pas de souligner l’arrière plan de l’accès aux ressources en gaz, on peut regretter l’absence d’un chapitre consacré aux projets concurrents de Gazoduc South Stream et Nabucco. Mais néanmoins la lecture d’« Autour de la mer Noire » peut être vue comme un complément indispensable aux nombreux articles parus sur ces grands projets de transport du gaz en provenance des rivages de la mer Caspienne et devant traverser l’espace pontique.
On sera par ailleurs intéressé par l’importance accordée aux religions, aux langues, ethnies qui se combinent pour apporter des explications aux conflits aussi bien d’hier que d’aujourd’hui.
Mais trois éléments de conclusion – parmi d’autres - sont à retenir, semble-t-il, et ce sous forme de questions :
Que peut faire l’Ukraine, tiraillée entre Union Européenne et Russie, et que peuvent faire de l’Ukraine ces deux vastes ensembles ?
La Turquie qui est un acteur essentiel dans l’espace pontique prend de plus en plus conscience qu’elle est un pays asiatique, tout en ayant une histoire et des intérêts ancrés dans l’Europe : l’Union Européenne saura-t-elle profiter de ce qui semble pouvoir être un atout pour elle si elle sait ménager les susceptibilités de la Turquie ?
La Russie reste pour les démocraties occidentales un objet de méfiance : est-ce une raison pour prendre pour principe de l’écarter de la famille de ces démocraties ?
La réponse d’Oleg Serebrian est très claire : ce serait une erreur car on en ferait « un grand pays frustré » ayant pour conséquence que « la région de la mer Noire sera le centre d’une secousse géopolitique de grande ampleur » alors que selon lui « n’est-ce pas à l’Europe unie de devenir l’hégémon géopolitique de l’espace pontique ? » (p 255-256).
Compte tenu du parcours de l’auteur, on ne saurait l’accuser de complaisance à l’égard de la Russie, qu’il connaît de l’intérieur. Son avis mérite une attention particulière !
Le 9 février 2011