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Le Roi de la pierre

Le village de Cosăuți, situé dans le nord-ouest de la Moldavie, est célèbre pour sa carrière de pierre blanche. Enormément de sculptures et d’éléments architecturaux qui embellissent de nombreuses localités, des églises et des monastères de Moldavie, ainsi que de Roumanie et d’Ukraine sont faits en pierre extraite aux environs de Cosăuți. Dans les ateliers installés tout à l’entrée du village, une cinquantaine d’artisans et d’apprentis transforment les blocs de pierre brute en sculptures aux formes et aux tailles adaptées aux prédilections des clients. Ces ateliers sont comme des musées à ciel ouvert où les expositions changent souvent. Or, une fois les finis récupérés par les clients, d’autres moulages prennent leur place.

Tout au début, les artisans de Cosăuți sculptaient surtout des pierres tombales et des crucifix. Puis, ils se sont mis à faire des travaux plus compliqués : des icônes, corniches, chapiteaux, ainsi que des ornements pour les églises.

Plusieurs artisans de Cosăuți ont le nom de famille de Lozan, et nombreux d’entre eux ont le prénom Ion, ce qui crée bien sûr des confusions – il arrive que, lorsqu’on cherche l’un des Ion Lozan, on tombe sur un autre. Le plus âgé d’entre eux a 78 ans et c’est lui qui a fait revivre la tradition de la taille de la pierre dans ce village situé au bord du Dniestr. D’ailleurs, au sujet de son âge, mi-sérieux, mi-blague, il dit : « Le Bon Dieu me garde parce que j’ai encore du travail à faire pour les églises et les monastères  ».

Ion Lozan a quitté le kolkhoze après un conflit avec le président, à qui il est aujourd’hui encore reconnaissant, car c’est ainsi qu’il est « devenu un homme » - il a créé la première coopérative dans le village qui pratiquait la sculpture des monuments en pierre. Plus tard, la coopérative s’est réorganisée en l’ONG « Le Roi de la pierre », un nom qui lui a été donné par des clients et des collègues.

C’est lui qui reçoit les énormes morceaux de pierre ramenés de la carrière. L’artisan les trie sur place et, si pour beaucoup ce ne sont que des dalles, il voit des sculptures qui s’y cachent. Il reste juste qu’un sculpteur habile les découvre. Il se souvient qu’autrefois la pierre était transportée par des charrettes spéciales tirées par des bœufs ou par des traîneaux, s’il y avait de la neige. Aujourd’hui, la pierre est transportée par des camions.

Tout part d’une idée qui est d’abord transposée au crayon sur papier, puis, petit à petit, le dessin prend une forme dans la pierre. « Le Ctrl+Z ne marche pas ici, explique le sculpteur. Tout doit être bien calculé, pensé, alors que la sculpture n’est encore que sur papier. La matière première est très précieuse, plus chère même que le travail des tailleurs de pierre  ».

La machine la plus bruyante et la plus lente de l’atelier est une scie automatisée qui a le premier contact avec la pierre. La machine géante coupe lentement et patiemment la pierre avec ses dents épaisses jusqu’à ce qu’elle obtienne la forme souhaitée qui est après reprise par les tailleurs.

Mais tout a commencé avec un marteau et un burin. Ion frappait du matin au soir la pierre, jusqu’à ce qu’elle prenne une forme et se transforme d’une roche froide en une figure qui plaisait aux yeux de ceux qui apprécient le beau. Mais avec le burin et le marteau les bras se fatiguaient vite. Il laissait alors les bras, comme les instruments se reposer, puis leurs sons commençaient à résonner à nouveau dans la vallée du Cosăuți. Quand il ne pouvait plus, le bras de l’artisan laissait le marteau et prenait le crayon pour mettre sur papier toutes les idées qui lui venaient.

Le métier d’artisan se transmet de génération en génération à Cosăuți. Le grand-père d’Ion Lozan était tailleur de pierre. Son père aussi. Et un de ses fils est son bras droit dans l’atelier.

Beaucoup de tailleurs de pierre qui ont déjà leurs propres ateliers ont été des apprentis d’Ion Lozan. Il n’a jamais eu peur de la concurrence, car il comprend que c’est ce qui rend meilleurs le travail et les idées.

La crise de la main-d’œuvre se fait également sentir ici. Parmi les « apprentis » les plus obéissants - trois ordinateurs connectés chacun à des outils de taille qui « travaillent » dur aux côtés des humains. Leur rôle est de créer des ébauches que les ouvriers affinent. De plus, les tours peuvent sculpter des dizaines d’éléments identiques, fait que la main humaine ne peut pas réaliser.

Certaines machines de son atelier sont « fabriquées à Cosăuți » - à partir d’un réducteur provenant d’un vieux incubateur, d’un vilebrequin « emprunté » à une moissonneuse-batteuse et de roulements provenant d’une vielle « Jigouli ». Et tous ses éléments se combinent et fonctionnent parfaitement, comme s’ils étaient faits l’un pour l’autre.

Ion Lozan va souvent en Roumanie, dans les monastères pour lesquels il a des sculptures à faire - il découvre leur histoire, analyse le style architectural des éléments présents afin que les ornements à fabriquer à Cosăuți s’intègrent dans le paysage. Parfois, sa Skoda le mène dans des endroits où son père et son grand-père transportaient leurs sculptures dans des charrettes à bœufs.

Chaque fois quand il revient dans le village, Ion Lozan s’arrête un moment près de la croix installée sur une colline. Il l’a faite pour accomplir le dernier souhait de ses parents. En fait, à la place de cette croix, il y a plusieurs décennies, il y avait une autre que les Soviétiques avaient enterrée dans l’asphalte de la route. Ion a sculpté une autre, en mémoire des déportés et de ceux décédés pendant la Seconde Guerre mondiale, quelle que soit leur origine ethnique et l’armée pour laquelle ils ont combattu…

D’après un reportage de Vadim Șterbate publié sur https://oamenisikilometri.md/regele-pietrei/

Le 30 mars 2024

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