En Allemagne, au début des années 2010, un groupe de chercheurs tentaient de mieux comprendre le cerveau humain. Ils se proposaient d’enregistrer l’activité électrique de chaque cellule. Un des membres du groupe, Andreas Schaefer a eu une idée : il a proposé de connecter des puces CMOS (similaires à celles des caméras vidéo) à des fils métalliques isolés et de les insérer dans le cerveau pour d’enregistrer l’activité cérébrale.
Mais pour que cela fonctionne, il fallait des fils très fins et efficaces. Un des chercheurs, Matt Angle, a découvert une usine appelée « Eliri » en Moldavie. Fondée en 1959, elle servait d’institut de recherche sur les instruments électriques.
Les chercheurs d’Eliri utilisaient une technique unique - le procédé Taylor Ulitovsky - pour créer des fils bien isolés : ils mettaient le métal dans un tube en verre et le chauffaient jusqu’à ce qu’il fonde. Ensuite, ils en faisaient un fil très fin. La MIT Technology Review écrivait : « La clé pour résoudre l’un des défis les plus difficiles des neurosciences réside dans une technologie des années 1960 inventée dans la petite Moldavie ».
C’était « une méthode très élégante » pour fabriquer des fils avec des diamètres qui n’auraient pas pu être faits de manière ordinaire. « Ils étaient uniques », les décrit le chercheur Angle. À sa connaissance, la Moldavie produit certains des nanofils les plus longs et les plus fins au monde. D’ailleurs, ce fait l’a inspiré à visiter la Moldavie en tant que jeune chercheur.
Une technologie militaire invisible
Un bâtiment à 12 étages de Chisinau, la capitale de la Moldavie, regorge de vieux ordinateurs et d’échantillons de technologie des années 70. Il y a des fils partout. Sur un mur, le portrait de Lénine s’entrevoit derrière de vieux panneaux. Le bâtiment cachait autrefois certains des plus grands secrets des Soviétiques. L’accès y était très limité. Aujourd’hui, l’édifice est vide et toute technologie futuriste autrefois s’est transformée en une sorte de pièce de musée.
« Le directeur, très fier, m’a montré un morceau de caoutchouc, se souvient Angle de sa visite. Cela ressemblait à un simple pneu. Très souple. Il m’a dit qu’il était imprégné de microfibres. Puis, il m’a fait un clin d’œil et m’a dit : « Complètement invisible pour un radar américain ». Autrement dit, la technologie Stealth ».
Le bâtiment abondait en histoires intéressantes. « Ce fut une visite incroyable », se souvient le chercheur américain. Il a ramené les fils d’Eliri à l’Université de Stanford, où il effectuait alors ses recherches postdoctorales.
La renaissance de l’usine
Peu de temps après, un futur entrepreneur est entré pour la première fois dans l’ancienne usine. Marcel Varlan, un consultant moldave ayant une formation en ingénierie et en commerce, a été envoyé pour évaluer Eliri afin de déterminer ce qu’il fallait faire de ce bien vétuste et des six chercheurs encore employés par l’entreprise et qui devaient prendre leur retraite.
Marcel y a vu une opportunité : « Les technologies deviennent de plus en plus petites et complexes. Il n’y a pas si longtemps, les ordinateurs avaient la taille d’une pièce. Maintenant, ils ont la taille d’une paume ». Il a décidé de reprendre et de transformer l’usine en une entreprise de fabrication de nanofils.
Donc, envoyé à Eliri pour voir quoi faire du bâtiment, il a plutôt repris l’affaire. Il a commencé à faire des recherches, à parler aux gens et à assister à des conférences et il s’est vite rendu compte que redonner vie à une ancienne usine soviétique était bien plus difficile qu’il ne l’avait prévu. Or, les nanofils constituent une technologie de niche très spécifique. « Il y a longtemps, Eliri comptait environ 500 ingénieurs développant des fils et des applications, explique Varlan. Aujourd’hui, tout est fini. Il faut avoir l’ensemble du système et un flux de travail continu, depuis la technologie de fabrication des fils jusqu’à l’intégration, les tests et la mise en pratique. Nous avons dû repartir presque de zéro ».
Six mois plus tard, une entreprise espagnole a fait une « énorme demande » de microfils à Eliri. Pour Marcel Varlan, cela signifiait augmenter la capacité de production de 50 fois presque du jour au lendemain. « Il n’y avait ni matériel, ni personnel disponible », se souvient-il. Il a cherché où acheter le matériel nécessaire, sans en trouver. Marcel s’est plaint à son oncle qui lui a dit : « Fais-le toi-même ! Tu es ingénieur ! ». « C’est à ce moment précis que je suis né de nouveau en tant qu’ingénieur et que j’ai commencé à construire. C’était fou ! Et je l’ai fait. J’ai construit tout l’équipement nécessaire ». En même temps, Marcel bâtissait l’équipe.
Le projet avec l’entreprise espagnole a échoué, mais il a été un catalyseur suffisant pour démarrer la nouvelle phase d’Eliri. « Nous avons commencé à croire dans notre capacité et dans nos moyens de concevoir rapidement des équipements et de construire des technologies », explique Marcel. La plupart des équipements de son nouveau laboratoire sont construits par lui et son personnel, qu’il forme en interne. Il n’attend pas des jeunes employés qu’ils sachent tout, mais qu’ils soient disposés à apprendre et à essayer.
Quant à l’activité de son entreprise - même si la production a été transférée dans un nouveau bâtiment, le secret existe toujours. On peut visiter l’usine à une condition : aucune photo, ni vidéo ne peut être prise ici. Cela reste encore aujourd’hui un secret d’État !
Des nanofils d’or d’Eliri pour étudier le cerveau
Le chercheur allemand Angle n’a pas fini par utiliser les fils d’Eliri dans son laboratoire actuel. Il est aujourd’hui à la tête de Paradromics, l’un des principaux développeurs d’interfaces cerveau-ordinateur et l’un des plus grands concurrents de Neuralink, la société d’Elon Musk.
D’autre part, son ancien partenaire Mihaly Kollo qui travaille au Francis Crick Institute, un centre de recherche biomédicale de premier plan à Londres, commande toujours des nanofils d’or à Eliri. Il veut comprendre le cerveau pour pouvoir le guérir. Kollo prédit que bientôt, au lieu de pilules, certaines maladies mentales, comme la maladie de Parkinson, seront traitées à l’aide de puces de stimulation insérées dans le cerveau.
D’après un article publié sur https://www.moldova.org/cum-moldovenii-fac-unele-dintre-cele-mai-bune-nanofire-din-lume/
Le 17 août 2024