Dossier de MR et CB
En juillet 2011, le Parlement moldave a adopté une « nouvelle stratégie nationale anti-corruption », valable pour la période 2011-2015 et prolongeant l’initiative préalablement adoptée en 2004. Or de nombreux experts, politiques ou juristes, semblent dénoncer l’inefficacité de telles mesures. Selon un sondage réalisé en 2010 par le Baromètre mondial de la corruption, 31,5% des citoyens moldaves interrogés considèrent la Justice de leur pays comme extrêmement corrompue, 49% d’entre eux jugent nécessaire de payer un acompte informel pour solutionner l’issue du procès et 47% des compagnies estiment que le système judiciaire actuel nuit au bon déroulement des entreprises.
Maîtres Violeta Gașițoi et Roman Zadoinov, avocats en Moldavie, mènent un combat depuis des années contre les cas de corruption. Ils font partie d’un comité d’avocats spécialisés dans le domaine. Nous ayant reçu à l’abri de leur cabinet, ils ont accepté de répondre à nos questions :
Exercer le métier d’avocat en Moldavie comporte des risques. Vous-mêmes avez été confrontés à de nombreux cas de corruption, affectant le système judiciaire moldave. Selon vous, quelles en sont les causes principales ?
Comme vous le savez, notre pays a longtemps été dominé par l’Union soviétique. Lors de la formation de l’URSS en 1917, les communistes ont mis en place une dictature totalitaire ne permettant pas à la démocratie d’exister. Le droit fondamental était remplacé par le droit statutaire, lequel avait pour fonction principale de contrôler efficacement la masse et l’empêcher de penser, s’exprimer, agir librement. Les juges obéissaient alors entièrement au gouvernement, agissant selon ses ordres afin d’obtenir une protection supérieure.
Cette tendance est analysée en Russie comme le phénomène de blat qui signifie bénéfice, privilège. En Moldavie on appelle cela cumatrism, ce qui se traduit par népotisme. Ainsi dans un tel contexte, militer contre le système était difficile, voire impossible, à cause de facteurs internes, dus au régime communiste, ajoutés à la faim, la sécheresse, les déportations ainsi que des facteurs extérieurs, tels que la guerre et l’isolation du reste du monde.
Le phénomène de corruption serait donc en partie lié à la tradition soviétique. Pourtant la Moldavie semble aujourd’hui s’être « libérée » de son emprise.
Certes aujourd’hui la situation politique a changé. La Moldavie a proclamé son indépendance en 1991 et tend vers un régime démocratique pluraliste. Or la tradition soviétique demeure, dans les esprits et les pratiques. Les trois organes du pouvoir (Parlement, Gouvernement et justice) sont séparés du point de vue constitutionnel, mais coopèrent dans la pratique selon des ententes réciproques. Par ailleurs, la plupart des juges en fonction ont commencé leur carrière sous l’ère soviétique. Eux-mêmes professeurs dans les universités de droit, ils continuent donc d’appliquer et de transmettre les pratiques issues de l’héritage communiste. Ainsi, même les jeunes juristes ayant terminé leurs études à l’étranger ne résistent pas longtemps une fois rentrés au pays. Ils sont contraints d’accepter les règles du jeu d’un système que l’on peut aisément qualifier d’usé et corrompu.
Par la logique de la hiérarchie, les juges entrainent dans cette spirale les avocats. En effet, un bon avocat en Moldavie, faisant preuve de professionnalisme et travaillant au mérite, gagne environ 2000 à 3000 lei par mois, ce qui représente environ 100 à 200 euros. C’est insuffisant pour nourrir une famille. Pour beaucoup, la tentation est grande d’accepter des pots de vin, des règlements à l’amiable ou encore de sélectionner les clients suivant le porte-monnaie. En agissant ainsi, ils doublent leur salaire et s’assurent une carrière stable et gratifiante.
Signataire de nombreux traités internationaux, la Moldavie semble pourtant multiplier ses efforts afin d’améliorer la situation. Quelles pourraient être les solutions permettant de combattre la corruption ?
La Loi existe et permet de défendre la Justice. Le problème provient du fait qu’elle n’est pas suffisamment respectée. Il faut donc réformer les acteurs chargés de son interprétation. La solution radicale serait de licencier tous les juges en fonction et de les remplacer par une nouvelle génération, formée selon les valeurs démocratiques. Cette mesure a notamment été appliquée par la Géorgie, autre pays anciennement membre du bloc soviétique et aujourd’hui souvent cité comme exemple par l’Union Européenne.
Il apparaît nécessaire en effet de mieux former les représentants de la loi, en commençant par les juges de la Cour Suprême, lesquels rendant les décisions finales pourraient ensuite imposer leur ligne de conduite aux Cours inférieures. Or cela requiert du temps (5 ans d’étude pour devenir juge) et de l’argent. Actuellement, il n’existe que quelques hauts centres de formation en justice répartis sur tout le territoire. Il faudrait donc mettre en place un programme de formation central, national et inspiré de systèmes judiciaires étrangers ayant fait leur preuve.
Toutefois, une telle initiative ne peut émaner des seuls juristes. Elle doit être murie et imposée par le gouvernement. Jusqu’à présent, celui-ci semble se satisfaire de la situation actuelle. Il feint la mise en place de programmes suggérés par des organisations internationales afin de rendre la justice moldave plus transparente. Or derrière ces promesses de réformes, la situation judiciaire demeure figée, un grand nombre d’hommes politiques tirant eux-mêmes profit de la corruption.
Il faudrait donc faire pression sur le gouvernement afin d’engager des réformes en profondeur, de transformer la mentalité moldave dans son ensemble. Deux acteurs pourraient selon moi jouer un rôle réellement significatif : la presse car c’est grâce à elle souvent que sont dénoncés les grands scandales historiques ayant fait naître les révolutions, et l’Union Européenne car celle-ci est dotée d’un pouvoir politique capable d’imposer à ses Etats membres des conduites internes à tenir. La Moldavie souhaiterait adhérer à l’Union Européenne, elle sait cependant qu’elle n’est pas encore prête. Elle est en revanche membre d’autres organisations telles que le Conseil de l’Europe, lequel a mis en place un certain nombre de politiques visant à combattre la corruption mondiale.