Récemment, le public de Chisinau a eu la surprise de découvrir un peintre - très intéressant - Samson Flexor.
Peu de gens connaissaient son existence en République de Moldavie. En revanche, son nom est très renommé au Brésil, pays où Samson Flexor est considéré comme un pionnier de l’art abstrait.
L’exposition du Musée National d’Art de Chisinau se nomme « Samson Flexor. Le chemin de Soroca à Sao Paulo ». André, le fils de Samson Flexor, a été présent à l’ouverture de l’exposition. « Il y a exactement 100 ans que Samson Flexor est né à Soroca, ici, en Moldavie. A cette occasion, on a initié une série d’expositions qui illustrent l’itinéraire de sa vie, dès sa naissance à sa mort, à Sao Paulo ». « Cette initiative, grâce à un heureux concours de circonstances, on l’a entreprise dans son pays de naissance, ici en Moldavie », dit André Flexor.
L’idée de l’exposition appartient à Cezara Colesnic, née à Chisinau, qui fait ses études à la Sorbonne, où elle a soutenu récemment une thèse dont le sujet est Samson Flexor.
« Ce qui est important dans ce personnage, Samson Flexor, c’est qu’on ne l’a pas oublié. Alors que ce phénomène arrive souvent avec les artistes après leur mort, surtout avec ceux qui ont été renommés au Brésil, mais pas en Europe. Les ramener en mémoire et les revaloriser, c’est un très gros travail parce que 50 ans après, on risque de les oublier complètement. Il y a beaucoup d’artistes oubliés », dit Cezara Colesnic.
Juif de Soroca
Né en 1907, Samson Flexor passe son enfance à Soroca et à Odessa. A Odessa, ses parents lui font faire l’Ecole des Arts. Ainsi commence sa carrière de peintre qui va continuer au milieu des années 20 à Bruxelles, puis à Paris. Le départ de Moldavie n’a pas été, pour Samson Flexor, motivé par le seul enseignement.
« Mon père était d’origine juive. Et, connaissant l’histoire de la communauté juive de ces temps-là, je sais que la vie était très difficile. C’est une chose qui explique pourquoi il n’avait pas envie de parler des années passées ici. Mon père était souvent confronté à des questions d’identité. Je suis un peintre abstrait, je suis un peintre comme celui-ci ou comme celui-là. Vers la fin de sa vie il disait simplement : je suis peintre. Sans ajouter autre chose. Cette chose, je pense, peut être liée avec la part moldave de son identité », dit André Flexor.
Jusqu’à la fin de sa vie, le peintre a laissé secrets les détails des années de sa vie en Moldavie. « On n’en discutait presque pas. Il parlait peu de la Moldavie. Il parlait de son père, de sa bonne relation avec lui. Mais très peu. Cette chose nous montre qu’il y avait une relation de conflit. Mais on ne peut pas dire que mon père ne s’est pas enrichi psychologiquement de cette situation de conflit. On voit dans ses tableaux l’image tragique de sa mère…beaucoup de choses liées avec la relation ou le contexte d’ici, dit Andre Flexor. Je suis sûr que quelque chose s’est passé avec sa famille ; il nous reste à étudier cet élément. Nous ne savons pas où sont morts ses parents. Sont-ils morts en France, en Roumanie ou en Moldavie ? Absolument rien ».
Des souvenirs douloureux
Adolescent, Samson est passé par une série des drames profonds reliés à des personnes très chères. Inévitablement, ils étaient en lien avec les lieux où il a passé son enfance. « La Moldavie est un nom relativement récent. Avec mon père, je ne parlais pas de Moldavie. On parlait de Bessarabie. Pour lui, c’était la Bessarabie. On ne parlait pas de la Moldavie, dit André Flexor. Il n’en parlait presque pas. Je pense que cette chose est liée à des souvenirs historiques et personnels difficiles. A 15 ans, il part à Bruxelles pour faire des études. Il a perdu son frère à l’âge de 10 ans, sa mère est tombée gravement malade. Il y a beaucoup de souvenirs difficiles. Et son grand-père…Beaucoup de choses difficiles dont il ne parlait pas. Son passé n’était pas évoqué, omission valable pour ce pays également ».
"Pour être très précis - dans l’œuvre entière de Samson Flexor, il n’existe rien qui soit lié à la Moldavie, ni à l’espace russe ou roumain. Tout ce qui existe se trouve dans ses premières œuvres : l’influence du constructivisme russe et quelques paysages qui ont été gardés jusqu’à maintenant, dans la collection d’un de ses fils, dit Cezara Colesnic. Il y a un paysage de Soroca de 1924 et un autre paysage de 1922. Tout ce qu’il a fait ultérieurement n’a pas aucun attachement « artistique » avec notre espace, mais cet homme toute sa vie a dit qu’il était Roumain de Bessarabie et je pense qu’on ne peut pas ignorer cette chose. Et tous les Brésiliens savent que partout est écrit le nom de la ville de Soroca. « Né à Soroca, Roumain de Bessarabie ». Je pense qu’avec cela, on a tout dit ».
Dès 1926, le jeune peintre Samson Flexor s’établit à Paris Mais là aussi les drames ne cessent pas de marquer sa vie. A l’accouchement, sa première femme Tatiana meurt. Puis suivent 4 années de guerre.
Le paradis brésilien
Il apparaît alors un rayon d’espoir-le lointain Brésil. « A Paris, après la guerre, je suppose que pour un artiste avec deux enfants, il était très difficile d’entretenir la famille. Pendant la guerre, c’était très dur mais après, encore plus problématique. Pour le Brésil, il a été encouragé par ses amis brésiliens qui lui ont dit de venir parce qu’il y avait beaucoup de possibilités, dit Cezara Colesnic. On a ouvert dans les années’50 les grandes musées d’art contemporain de Rio et Sao Paulo. Les Brésiliens ont beaucoup investi dans l’art contemporain parce qu’ils cherchaient déjà leur art national. Dès les années 26-30, les artistes brésiliens cherchaient la spécificité de leur art. Ils ont trouvé la réponse seulement quand sont apparus ces deux grand musées où l’on organisait les Biennales. Lors de ces Biennales, on a assisté au retour au Brésil des artistes partis en Europe et formés dans les écoles de Paris, ou en Suisse, en Allemagne. Flexor est venu ici au moment où l’art brésilien accédait à un autre niveau ».
Au Brésil, Samson Flexor a trouvé le silence qu’il avait oublié en Europe. Pour un peintre, le Brésil apparaissait comme un paradis terrestre. Il s’établit ici en 1948.
« Le Brésil est au cœur d’une série de circonstances. La famille de ma mère, qui était d’origine polonaise, s’est établie au Brésil dans les années 30. Mon oncle, un intellectuel de Sao Paulo, a organisé pour mon père une exposition qui s’est très bien déroulée. Il a fait des portraits aussi et a bien gagné sa vie. Mon père croyait que le Brésil était le paradis. Venant d’une région bouleversée par la guerre, avec une famille de deux enfants qui devait être entretenue, l’existence était très difficile. Au Brésil, il a trouvé le paradis : le soleil, l’argent, la famille de ma mère. C’était étonnant. Il a été très bien reçu ici. Il est arrivé à un moment très intéressant de l’art brésilien, le moment où l’on créait les premiers musées. Mon père était là comme un poisson dans l’eau ».
A Sao Paulo, Flexor a fondé l’école-atelier « L’abstraction », considérée comme le premier centre d’art abstrait de l’Amérique Latine.
« Je pense qu’au Brésil il a trouvé la tolérance qui n’existait pas en Europe. Il est probable que cela lui a plu : après tout ce qu’il avait vécu en Europe, le Brésil était le pays de tous les possibles, dit Cezara Colesnic. Son atelier « L’abstraction », créé en 1951 a formé plusieurs artistes brésiliens. Lui-même a été aussi un personnage important pour les Brésiliens. Mais pour nous, il est aussi important de le connaître. De le connaître et de l’intégrer à notre patrimoine ».
« Mon père a été un des pionniers de l’art abstrait du Brésil, où apparaissaient des musées d’art contemporain. Il est resté un peintre abstrait durant plusieurs années, mais il cherchait beaucoup. A certains moments, il était satisfait par certaines formes d’art, puis il cherchait d’autres formes : abstractionnisme géométrique ou lyrique, dit André Flexor. Mais, vers la fin de sa vie, il commence à voir plutôt la partie tragique des choses. La déception envers la vie, l’abandon des positions progressistes, la désillusion face au progrès et face à l’homme en général. Vers la fin de sa vie, au Brésil va s’instaurer une dictature militaire très dure, ce qui a été pour lui un grand choc - lui, qui croyait que ce pays évoluait seulement vers l’avant. Il est tombé malade et a eu des problèmes cardiaques. Dans sa peinture, les dernières années, apparaissent des monstres, la tragédie de l’existence et l’abandon de l’optimisme de la première phase, quand tout était possible et intéressant ».
Avec l’instauration au Brésil dans les années’60 d’un régime totalitaire dur, Samson Flexor perd le paradis serein dans lequel il était venu d’une Europe détruite par la deuxième guerre mondiale. Sa peinture reflète les échanges de cultures.
Dans l’exposition de Chisinau, on peut voir toute la trajectoire de la vie du peintre né à Soroca, parti en France et arrivé au Brésil : à partir du paysage de Soroca, peint par un adolescent de 17 ans, jusqu’aux tableaux d’un adulte qui est arrivé au paradis, un paradis qu’il a perdu vers la fin de sa vie.
« 100 ans -100 œuvres. Avec cette idée, j’ai voulu couvrir toute son œuvre, dès la période du début (un paysage fait à Soroca à 13 ans), jusqu’à ses dernières toiles ».
Il meurt en 1971. Dans l’exposition entrent toutes les phases, parisienne, figurative, cubiste, le passage vers l’abstractionnisme géométrique, la phase lyrique, et, vers la fin de la vie, un style de peinture figurative tragique. Ici on voit bien sa propre situation et ce qu’il ressentait envers l’état du monde qui devenait difficile.
Patrimoine bessarabien : Samson Flexor, encore un artiste bessarabien qui s’est réalisé loin de l’endroit où il est né..
« Un itinéraire plus curieux est peut-être Brésil - France - Moldavie : maintenant, ce processus inverse est plus intéressant ! On ne parle pas d’un retour proprement dit, mais d’un enrichissement dû aux Moldaves partis en exil qui ont beaucoup accumulé dans d’autres parages. Ils pourraient apporter tant de richesse dans leur pays d’origine ! Cette chose est la plus intéressante », dit André Flexor, le fils du peintre.
« L’idée que j’avais quand j’ai conçu cette exposition n’était pas de se glorifier - Oh ! il a un tel originaire de Moldavie… Non. L’idée est qu’on doit le connaître parce qu’il fait partie de notre patrimoine, dit Cezara Colesnic. C’est tout, on ne peut pas parler de sentiments patriotiques ou non. Il vient de ce pays, donc il doit être tout simplement introduit dans notre patrimoine pour que les générations suivantes le connaissent ».
Article publié sur http://www.bbc.co.uk/romanian/news/story/2007/09/070929_moldova_flexor.shtml, traduit par Valeria Rotaru, élève en XII-ième, Lycée Théorique « Ioan Voda » de Cahul, membre JUNACT. Relecture - Michèle Chartier.
Publié en décembre 2007