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32 ans depuis la bataille de Tighina : « Le massacre commis par l’armée russe en 2022 à Bucea m’a rappelé les événements dont j’ai été témoin en 1992 à Tighina »

32 ans se sont écoulés depuis la bataille de Tighina, où, lors de la guerre sur le Dniestr en 1992, les affrontements les plus violents ont eu lieu entre les troupes moldaves et les séparatistes transnistriens, soutenus par l’armée russe. Chisinau contrôlait presque toute la ville, mais la bataille s’est terminée par l’intervention de l’armée russe, aux côtés des séparatistes de Transnistrie, modifiant le rapport des forces.

Alexandru Cerbu, responsable d’un service d’urgence de Tighina à l’époque du conflit armé de Transnistrie, se souvient de chaque minute du 19 juin 1992, lorsque les combats ont commencé dans la ville.

«  Le 19 juin, j’étais de service. Vers 16h-17h, nous devions nous réunir, avec des collègues, à l’occasion de la journée des médecins, au café Tighina, près de la gare. Avant, nous sommes rentrés chez nous. Je me souviens très bien de ce jour-là, y compris de ce que nous avons mangé, ma femme et moi. Je me souviens de tout.

Mon épouse est allée chez une nièce, qui avait un bébé - elle était infirmière et habitait dans la résidence des médecins, à environ 100 mètres du commissariat de police. Vers 17 heures, je marchais dans la rue Dzerjinski, où se trouvait le commissariat et… la fusillade a commencé. Cela était déjà arrivé, mais cette fois-là on tirait d’autre part.

C’était une belle journée, calme et chaude. Au bout d’une demi-heure, la ville était déserte. Les gens se sont tous enfuis. On tirait de partout. J’ai essayé de joindre ma femme pour la faire sortir de là, mais je n’ai pas pu passer. Des combats intenses se déroulaient déjà.

Chemin faisant, j’ai vu le premier cadavre. En tant que médecin, je me suis approché, instinctivement, mais j’ai immédiatement été mis contre le mur et j’ai entendu une voix dire : « Ликвидировать его ! » (du russe – « Le liquider ! »). Mais des volontaires de Varnița se rapprochaient du siège de l’administration municipale et quelqu’un a crié : « брось его » (« laisse-le »). La chance ! Je me suis échappé.

Les combats faisaient rage dans la ville. Je me souviens de cette journée minute par minute. Je n’ai pas pu me rendre au travail ce soir-là. Il fallait que je traverse une rue venant depuis Hârbovăț, où était entré le détachement spécial du Ministère de l’Intérieur. En fait, c’est là que se déroulaient les combats.

Je suis finalement arrivé au travail le lendemain soir. Les 20, 21 et 22 juin, les combats les plus violents ont eu lieu, surtout le 22 juin, quand ils ont utilisé l’aviation. Il y a eu beaucoup de victimes », raconte Alexandru Cerbu.

La plus dure période dans la vie de Alexandru Cerbu a commencé le 26 juillet 1992, quand il a été arrêté par des combattants transnistriens dirigés par un personnage qui a été impliqué plus tard dans la guerre en Ukraine, en 2014.

« Les jours les plus difficiles dans ma vie ont commencé le 26 juillet, lorsque je suis rentré chez moi. Pendant toute cette période, à partir du 19 juin, j’ai travaillé et j’étais toujours avec mon équipe de médecins, je dormais à l’hôpital. La première fois que je suis rentré chez moi, à dix heures et demie du soir, j’ai été arrêté par les transnistriens, après la signature de l’accord de cessez-le-feu.

J’ai été arrêté par un jeune homme qui est devenu connu plus tard. Après de nombreuses années, lorsque les événements en Ukraine ont commencé, je l’ai vu à la télévision, dans un reportage sur la rébellion à Slavyansk. Tout le monde le connaît, c’est Guirkin-Strelkov.

Une fois arrêté, j’ai été torturé, battu, ils ont tiré sur moi. Ils m’accusaient d’être membre d’un groupement nationaliste, le Front Populaire, même si je n’avais rien à voir avec le Front. Je garde toujours le papier qu’ils m’avaient remis. Ils m’ont torturé pendant quelques jours, après quoi ils m’ont transféré à Tiraspol, où j’ai été interrogé par Gratov, le soi-disant ministre de la sécurité de Transnistrie. Au bout de quelques heures, j’ai été libéré dans un échange de prisonniers. Ils m’ont donné les papiers, me disant : partez !  », se souvient Alexandru Cerbu.

Il dit avoir revécu en 2022 les événements dont il a été témoin à Tighina en 1992, lorsqu’on a appris du massacre de Boutcha, en Ukraine, commis par l’armée russe : « Je ne pensais pas qu’ils seraient assez stupides pour attaquer toute l’Ukraine. Il était clair qu’il y aurait des combats dans le Donbass, mais je ne pensais pas qu’ils iraient sur Kiev, Tchernigov. Ayant vu des images de Boutcha, je me suis soudainement souvenu de l’époque où je conduisais et où il y avait des cadavres partout dans les rues de Tighina. Même situation – des civils. Ce fut vraiment un choc émotionnel pour moi de revoir ces choses. Rien n’a changé… ».

D’après un article publié sur https://radiochisinau.md

Le 22 juin 2024

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